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Full text of "Les jésuites en présence des deux Chambres"

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D 
À 
pe, 


LES JÉSUITES 
EN PRÉSENCE 


DES DEUX CHAMBRES. 


On trouve chez le méme libraire : 


Les Trois procès dans un, ou la Relgion et la 
Royauté poursuivies dans les Jésuites. Par 
M. Bellemare. 3° édition. Un vol. in18, r fr. 
50 c. 


Le Conseiller des Jésuites. Par le méme. > édi- 
tion. Un vol. in-16, 1 fr. oc. 


Le Collége de mon Fils. Par le même. In- 8e, 1 fr. 
25 c. 


La Fin des Jésuites et de bien d'autres. Par le 
méme. {n-8°, 1 fr. 5o c. 


LES 


 JSSURFES 


EN PRÉSENCE 


DEUX CHAMBRES. 


PARIS, 


IMPRIMERIE-LIBRAIRIE DE J. G. DENTU, 
RUE DU COLOMBIEE , N° 21 ; 


ÊT PALAIS-ROYAL, GALERIES DE BOIS, N°95 203 sr 200, 


1828. 


Digitized by the Internet Archive 
in 2012 with funding from 
University of Ottawa 


https://archive.org/details/lesjsuitesenprO0bell 


LES JESUITES 


EN PRÉSENCE 


DES DEUX CHAMBRES. 


La destinée des jésuites offre aux re- 
gards de l'observateur une singularité 
frappante. Ils ne sont que cent cinquante 
environ sur un sol habité par trente mil- 
lions d'hommes. On ne les voit ni dans 
nos académies, ni dans les palais de nos 
rois, ni sur aucun de ces grands théâtres 
où cherchent à se montrer avec éclat les 
ambitieux avides d’honneurs et de célé- 
brité. Employés par les évêques dans des 
petits séminaires, ils y mènent, au milieu 
d’une jeunesse docile , innocente et stu- 
dieuse, une vie très-utile, mais obscure. 
On ne peut, certes, leur adresser le re- 
proche de faire du bruit, pour attirer sur 
eux les regards du monde; personne ne 


I 


2 


vit plus tranquillement dans ses foyers. Et 
cependant la France entière est occupée 
des jésuites; leur nom se trouve dans toutes 
les bouches ; on ne parle que de leurs doc- 
trines, de leur influence, de leur politique, 
des faits de leur histoire consignés dans les 
annales de l’Europe. Fous les jours ils es- 
suient un torrent d’injures dont la source 
semble ne devoir pas tarir, et ils se taisent. 
Si l’on en croit les organes du parti libéral, 
ces hommes si paisibles, alors même qu’on 
les outrage, sont pour l'Etat le plus ter- 
rible de tous les fléaux ; il faut s’en dé- 
faire à tout prix, et sans retard; d’ailleurs, 
leur existence au milieu de nous est une 
scandaleuse violauon des lois du royaume ; 
et si l’on ne se hâte de les expulser du sol 
de la patrie, la Charte, ainsi que nos li- 
bertés publiques, se trouvent menacées 
d’un péril imminent. À juger de leur ca- 
ractère, de leurs forces, de leurs projets, 
par les continuelles et bruyantes clameurs 
des libéraux, on dirait que ces cent cin- 
quante jésuites dispersés sur divers points 


en 


3 


de la France, doivent lui inspirer plus de 
frayeurs et d’alarmes que ne le ferait une 
armée de cent mille étrangers s’avançant 
rapidement vers la capitale du royaume, 
après avoir envahi nos frontières et dis- 
persé nos phalanges. 

Mon dessein n’est pas de discuter toutes 
les accusations vieilles ou nouvelles diri- 
gées contre ces disciples de saint fgnace : 
cette tâche est honorablement remplie par 
plusieurs écrivains. Parmi eux se signale 
un homme d’un talent irès-remarquable. 
M. Bellemare défend les jésuites avec un 
courage qui annonce le plus beau carac- 
tère; et le succès prodigieux qu'obtiennent 
auprès du public les plaidoyers sortis de 
sa plume tour à tour judicieuse et plai- 
sante , spirituelle et éloquente, prouve 
assez que la vérité commence à faire taire 


la passion (1). On ouvre enfin les yeux sur 


(1) Puisque Pauteur de cet écrit en fait la re- 
marque, voici ce qui parle en faveur de la cause 


4 

les motifs de la haine dont ses cliens sont 
l'objet; et s'ils ont des ennemis acharnés à 
leur perte , ils comptent aussi dans les rangs 
de la société des amis sincères et dévoués. 

Si l’on me demande quel est donc le but 
de mon travail et pourquoi j'intitule cet 
écrit les Jésuites en presence des deux 
Chambres, 11 me sera facile de sausfaire 


des jésuites encore plus qu’en faveur de M. Belle- 
mare. Les Trois procès dans un (1) sont à leur 
3e édition (neuf mille exemplaires) ; le Conseiller 
des Jésuites (2), 2° édition (six mille) ; le Collége 
de mon fils (3) (dix mille exemplaires en quatre 
mois); la Fin des Jésuites (4) (cinq mille exem- 
plaires en dix jours), et la 2° édition cinq mille. 
Le mérite des ouvrages peut y faire quelque chose ; 
mais le mérite de la cause y entre aussi pour 


beaucoup. 
(Note de l'éditeur.) 


(1) In18, fr. Soc. 

(2) In-18,1 fr. 50 c. 

(3) In-8o, 1 fr. 25 c. 

(4) In-8o, 1 fr. 50 c. 

Ces quatre onvrages se trouvent chez G. Dentu, rue 
du Colombier, n° 21. 


E 


en peu de mots la curiosité de mes lec- 
teurs. Me proposant d'examiner la question 
légale de l’existence des jésuites, il m’a 
paru que je devais surtout appeler l’atten- 
ton de ces deux corps de l'État. Où pour 
rais-je trouver tout à la fois et plus de lu- 
mières réunies et plus d’esprits capables 
de juger avec impartialité de la justesse de 
mes observauons sur un objet de cette im- 
portance! Cette question, déjà discutée l’an- 
née dernière dans la Chambre haute , sera 
sans doute reproduite aux deux tribunes 
des pairs et des députés. Une commission 
a été nommée pour constater les faits qui 
s’y rattachent, et les comparer avec les lois; 
et dans le discours de la couronne, pro- 
noncé récemment devant l'élite de la na- 
tion, le Roi a hautement déclaré, avec 
cette loyauté pure, avec cette noble fran- 
chise admirées de tous les Français, qu’il 
désirait de faire briller par la discussion la 
vérité, premier besoin des princes et des 
peuples. J’ose répondre à cet auguste ap- 
pel du monarque, et je viens offrir à ceux 


6 
qui partagent sa puissance et sa sollicitude, 
le tribut de mes lumières. 

Dans cet écrit, la question des petits sé- 
minaires est traitée avec celle des jésuites. 
Les évêques, ainsi que les jésuites, y trou- 
veront la défense de leurs droits ; et peut- 
être l'Université elle - même saura - 1- elle 
quelque gré à l’auteur d’avoir signalé les 
inconvéniens de certaines mesures qu’on 
parle d’adopter dans son intérêt, et qui, 
loin de la servir utilement, la compromet- 
traient de la manière la plus grave. I] ne s’a- 
eit pas pour elle d’avoir un peu plus d’ar- 
gent, mais plus de considération; et si, en 
cherchant à augmenter ses capitaux par des 
mesures vexatoires, on venait à la décré- 
diter dans l'opinion du clergé et des pères 
de famille religieux, je la plaindrais sin- 
cèrement de sa nouvelle fortune. Que se- 
rait-elle aux yeux de ces deux classes 
d'hommes respectables, sinon une statue 
d’or et d’argent, mais aux pieds d'argile, 
menaçée de tomber sous peu dans la pous- 


sière qu'on foule aux pieds? Je Jui sou- 


7 

haite un sort bien différent. Mais il ne faut 
pas qu'on l’avilisse en voulant la rendre 
plus forte et plus riche aux dépens de la 
religion, des mœurs et de la monarchie. 
Qu'on prenne garde surtout de lui donner 
les formes et l’aspect d’un tyran qui op- 
prime pour envahir : ce serait la marquer 
d’un fer chaud devant toute la France. 


ANA AA RAR RAR RAR UN LUE RAA RU RL RAR RAR AURA LAS 


CHAPITRE PREMIER. 


L'existence des jésuites en France est-elle contraire aux 


lois du royaume ? 


IL existe des jésuites en France ; ils sont 
employés par plusieurs évêques comme su- 
périeurs, comme professeurs dans leurs 
petits séminaires : c’est un fait avoué par 
un ministre du Roi, en présence des deux 
Chambres. Cependant les jésuites ont été 
proscrits, exilés même du royaume, par 
arrêts des parlemens;et l’édit de Louis XV, 
de novembre 1764, confirmé par un édit 
de Louis XVI du mois de mai 1777, sup- 
prima leur société. Ainsi, confier à des jé- 
suites la direction des petits séminaires, 
c’est mépriser les arrêts des Cours souve- 
raines, c’est se constituer en état de révolte 
contre l'autorité royale, par une publique 


9 
et scandaleuse violation des édits de nos 
TOIS. 

On cite encore, sur le même sujet, un 
décret de l’assemblée nationale, revêtu de 
lettres-patentes du roi, du 19 février 1790, 
déclarant que les lois françaises ne recon- 
naissent plus de vœux monastiques solen- 
nels, et que les ordres religieux et les con- 
srégations dans lesquels on faisait de pareils 
vœux, Ctaient et demeuraient supprimés 
en France, sans qu'il pût en étre établi 
de semblables à l'avenir; 2° un autre dé- 
cret du 18 août 1792, déclarant pareille- 
ment éteintes et supprimées toutes les 
corporations religieuses et congrégations 
séculières d’hommes et de femmes, ecclé- 
siastiques ou laïques; 3° l'art. 11 de la loi 
du 8 avril 1802, d'après lequel tous les 
établissemens ecclésiastiques sont sup- 
primés , à l'exception des chapitres cathé- 
draux et des séminaires que les archevêques 
et évêques étaient autorisés à établir; 4° un 
décret du 22 juin 1804, ordonnant que 
les lois qui s'opposent à l'admission de 


10 


tout ordre religieux dans lequel on se lie 
par des vœux perpétuels, continuassent 
d’être exécutées selon leur forme et teneur. 
Le même décret disposa, en outre, qu’au- 
cune aggrégation ou association d'hommes 
ou de femmes ne pourrait se former à l’a- 
venir sous prétexte de religion, à moins 
qu'elle n’eût été formellement autorisée, 
sur le vu de ses statuts et règlemens. En- 
fin il prescrivit aux procureurs -généraux 
et aux procureurs près les tribunaux de 
première instance, de poursuivre ou faire 
poursuivre, méme par la voie extraordi- 
natre , suivant l’exigence des cas, les per- 
sonnes de tout sexe qui contreviendraient 
directement ou indirectement aux dispo- 
sitions de ce décret. 

Enfin, ajoute-t-on, aux termes des lois 
de sûreté, plus de vingt personnes ne 
peuvent se rassembler dans une maison 
privée , à des Jours et à des heures fixes, 
pour s'occuper d’arts, de sciences ou niême 
de religion, sans l'agrément du gouverne- 


menL. 


11 


Tel était létat de notre législation, 
avant la publication de la Charte, laquelle 
déclare, art. 68 : « Que le Code civil, et 
« les lois actuellement existantes qui ne 
« sont pas contraires à la présente Charte, 
« restent en vigueur jusqu’à ce qu'il y soit 
« légalement dérogé. » Or, il n’a point été 
dérogé, dit-on, ni aux édits de Louis XV 
et de Louis XVI concernant les Jésuites, 
ni aux diverses lois de 1790, 1792et 1802, 
par lesquelles sont éteintes et supprimées 
toutes les associauonsreligieuses d'hommes. 
Au contraire, deux lois de 1817 et de 1825 
établissent en principe que de semblables 
établissemens ne peuvent se former de 
nouveau dans le royaume, qu'avec une au- 
torisation de la puissance publique; et aux 
termes de la loi de 1825, cette autorisauon 
doit être donnée par une loi. 

De ces citations diverses il résulte que 
l'existence de l'association religieuse des 
jésuites en France, est en opposition ma- 
mfeste avec les lois dû royaume; et qu’elle 


ne peut être tolérée par les ministres du 


12 


Roi, à qui est imposé le devoir de faire 
respecter et exécuter les lois. 

Reprenons ces citations en détail, et 
voyons si la conséquence qu’on en tire est 
légitime. 

D'abord , il est bien surprenant que 
l’on ose encore allésuer, contre les jé- 
suites, les trop fameux arrêts des parke- 
mens. D'où vient donc le beau zèle qui a 
saisi tout à coup les ennemis de ces reli- 
gieux pour l’exécution pleine et entière 
des décisions des anciennes Cours souve- 
raines? Ils n’ignorent pas qu'aujourd'hui 
on réimprime librement et impunément 
une foule de livres impies condamnés, par 
arrêts du parlement de Paris, à être brülés 
au pied dn grand escalier, de la main du 
bourreau. Eh bien, quand ces derniers 
arrêts seront remis en vigueur, comme 
subsistant dans toute leur force, et selon 
leur forme et teneur, Hs pourront alors récla. 
mer, avec quelque apparence de raison, 
l’exécution de ceux relatifs aux jésuites. Je 
dis avec quelque apparence de raison ; car 


13 


en réalité ces arrêts de proscripuon doi- 
vent en toute hypothèse être considérés 
comme d’énormes abus de pouvoir, comme 
des attentats manifestes à l'autorité royale, 
et par conséquent comme des actes illé- 
gaux et radicalement nuls. En effet, la 
société des jésuites avait été autorisée par 
édits enregistrés aux parlemens. Ainsi, 
elle existait sous la protection des lois , sous 
l'égide de l'autorité royale. Elle ne pou- 
vait donc être supprimée par les parlemens : 
car ces Cours souveraines étaient chargées 
d'appliquer les lois, et non d’abolir ce 
que les lois approuvaient et autorisaient. 
Et cependant, entrainées par un esprit de 
vertige, la plupart détruisirent, de leur 
propre autorité, la société des jésuites, au- 
torisée par les édits de nos rois. De pareils 
actes sont marqués d’un sceau de répro- 
bation : ils sont frappés d’un vice radical 
qui leur ôte toute force, toute autorité. 
Quant aux arrêts de bannissement portés 
par ces mêmes Cours souveraines contre 
tous les membres de la société des jésuites, 


14 
sans qu'ils eussent été cités, accusés," en- 
tendus, sans qu'il y eût un seul délit 
constaté juridiquement contre eux, c'est 
le comble de l’injusuce, je dirais presque 
de la barbarie. Et c’est bien aujourd’hui 
que nos mœurs, Comme nos institutions, 
repoussent tout ce qui sent l'arbitraire et 
le despotisme ; c’est bien aujourd’hui qu'il 
convient de réveiller le souvenir de pareils 
arrêts plus flétrissans pour les juges que 
pour les victimes! Louis X V en sentit toute 
l’injusuice : car dans l’édit même de sup- 
pression de la société, en date du mois de 
novembre 1764, ce prince réforma Îles 
arrêts en ce qui concernait le bannisse- 
ment. « Permettant, néanmoins, y est-il 
« dit, à ceux qui étaient dans ladite so- 
« ciété, de vivre en particuliers dans nos 
« États, sous l’autorité spirituelle des or- 
« dinaires des lieux, en se conformant 
« aux lois de notre royaume, et se com- 
« portant en toutes choses comme nos bons 
« et fidèles sujets. » Il fit plus encore : par 
le même édit, toutes les procédures crimi- 


LA 


19 


nelles qui pouvaient être commencées à 
l'occasion de l'institut et societé des je- 
suites , etaient et demeuraient eteintes et 
assoupies , imposant silence à cet effet 
à notre procureur-general. Soit dit en pas- 
sant, cette dernière disposition fait voir 
assez clairement que si, par des motifs po- 
litiques, ou plutôt pour suivre l'avis de son 
conseil (1), Louis À V crut devoir suppri- 
mer dans son royaume l'institut de saint 
Ignace, il ne regarda cependant pas les jé- 
suites comme coupables. En effet, s'ils 
eussent été à ses yeux tels que les dépei- 
gnait le parlement, ce prince n'eût poiut 
anéanti les procédures intentées contre eux. 
C'est ainsi que la vérité perce etse produit 
au dehors, dans les actes mêmes de rigueur 
dont ces religieux furent les victimes. 
Quoi qu'il en soit, dira-t-on , c’est un fait 
que cette société, qui cherche à renaître en 


(1) On sait que Louis XV s'était fait une règle 
de renoncer à ses propres lumières, pour suivre 
l'avis de la majorité des membres de son conseil. 


16 

France, a été supprimée par un édit du 
mois de novembre 1764, confirmé par un 
édit de Louis XVI, du mois de mai 1777. 
Ainsi leur existence est réprouvée par les 
anciennes lois du royaume , lesquelles, loin 
d’avoir été révoquées, sont au contraire 
maintenues par notre législation moderne. 
Telle est l’objection : voici la réponse. 

L'édit de Louis X V a supprimé la société 
des jésuites, mais telle qu’elle existait alors; 
c’est-à-dire une société qui possédait des pro- 
priétés, qui dirigeait des colléges à elle ap- 
partenant , qui était habile à accepter deslegs 
et des donations entre vifs, qui formait un 
ordre religieux reconnu par l'Etat; en un 
mot, qui Jouissait d’une existence légale. 
Mais loin de bannir de ses États les mem- 
bres de cette illustre société, il annula les 
arrêts qui les avaient condamnés à l'exil ; 
et loin de les déclarer incapables d'exercer 
les fonctions ecclésiastiques et d'occuper 
des emplois relaufs à l’instrucuon publi- 
que, il leur permit de vivre en particu- 
liers dans ses États , sous l'autorité spi- 


17 

rituelle des ordinaires des lieux. Ainsi, 
les évêques pouvaient disposer d’eux à leur 
gré dans toute l'étendue de leurs diocèses : 
car 1ls étaient placés sous leur autorité 
spirituelle. s pouvaient donc les appeler 
à tous les emplois qui relevaient de leur ju- 
ridiction , et par conséquent les nommer 
à des cures, à des canonicats, à des chaires 
de professeurs dans leurs séminaires. Au- 
cune limitation n’était mise par l’édit à 
l'exercice de ce droit des évêques ; aucune 
défense n’était faite aux membres de la so- 
clété de correspondre avec leurs anciens 
supérieurs pour des affaires concernant 
leurs vœux et leur conscience. Il ne leur 
était même pas défendu de se retirer dans 
une maison pour y vivre en commun sous 
l'autorité de l’évêque diocésain ; car on peut 
bien vivre en parüculiers sous un même 
toit , et prier ensemble, vaquer aux actes 
d’une vie pieuse, mais privée, alors même 
que le régime extérieur et légal de la so- 
ciété dont on faisait parue , a été aboli. 


Or, les jésuites d’aujourd’hui se trouvent 
2 


18 


précisément dans cette même position. 
Leur association ne possède en propre ni 
biens, ni colléges, ni séminaires. Comme 
les curés, comme les vicaires des paroisses, 
ils vivent sous l’autorité spirituelle des 
évêques. C’est d’eux qu’ils reçoivent le 
pouvoir de prêcher, d'entendre les confes- 
sions des fidèles, d’exercer les autres fonc- 
tions ecclésiastiques, d’enseigner dans les 
petits séminaires. Ainsi leur vie publique 
est celle des autres membres du clergé. Il 
est vrai qu'ils font des vœux, mais sans 
pompe, sans solennité extérieure, seule- 
ment dans le for de la conscience , entre 
Dieu qui voit le fond des cœurs et celui 
qui les prononce, pour se dévouer plus 
spécialement à son culte. Mais qui dou- 
tera raisonnablement qu'après l’édit de 
suppression de leur société, les anciens jé- 
suites n’aient pu faire des vœux de cette 
nature? Ne sont-ce pas des actes de la vie 
privée, dont la loi ne connaît pas, et qu'il 
lui est impossible d’interdire, à moins de 
pousser la sévérité jusqu’à la tyrannie? Il 


19 ; 
est vrai éncore que dans leurs chambres, 
dans leur intérieur, les jésuites observent les 
statuts et les constitutions de saint Ignace. 
Mais on ne lit dans l’édit de Louis XV, 
aucune disposition par laquelle il ait été 
défendu aux anciens jésuites de faire dans 
leurs cellules ce qu’ils jugeraient conve- 
nable pour satisfaire leur dévotion. En- 
fin il est encore vrai que les jésuites ont 
des supérieurs particuliers à qui ils sont 
tenus en conscience d’obéir, mais toujours 
et seulement pour ces actes de la vie pri- 
vée dont la loi ne connaît point et ne peut 
connaître. Or, l’édit de Louis XV ne sta- 
tua rien sur cet objet; et quant aux actes 
de leur vie extérieure et publique, tels 
que la prédication, l’enseignement et au- 
tres de ce genre, s'ils recoivent de leurs 
supérieurs particuliers des ordres qui s’y 
rapportent, leur exécution dépend uni- 
quement de la volonté des évêques, à la 
juridiction desquels ils restent soumis, 
comme tout autre membre du clergé. Nou- 
veau trait de ressemblance avec les jésuites, 


20 


tels qu'ils existaient en France après l’é- 
dit de suppression; car ils se mirent en- 
tièrement à la disposition des évêques, 
pour tout ce qui concernait leur vie exté- 
rieure et publique, comme y sont encore 
les jésuites d’aujourd’hui. 

Ainsi, ces religieux employés par les 
évêques dans leurs petits séminaires, sont 
dans la même position où se trouvaient 
leurs prédécesseurs, sous le règne de 
Louis XV, après l’édit de suppression de 
leur société. Leur existence en France 
n’est donc pas, comme on le prétend , une 
scandaleuse violation de cette ancienne loi 
du royaume. | 

Mais il existe un édit de Louis XVI, 
du mois de mai 1777, dont les articles 2 
et 3 portent expressément que les jésuites, 
dont la société avait été supprimée, re 
pourront se réunir, pour vivre plusieurs 
ensemble en societé, sous quelque pre- 
texte que ce puisse étre, et qu'il leur 
est fait expresses inhibitions et défenses 
d'avoir ni entretenir aucun commerce ni 


241 


aucune correspondance avec les étran- 
gers qui auraient ête de ladite societé et 
compagnie , surtout avec Ceux qui au- 
raient eu ci-devant quelque autorité dans 
ladite societe. I y a plus encore : l’ar- 
üicle 6 leur interdit toutes fonctions rela- 
tives à l’instruction publique. Comment 
donc concilier de telles dispositions avec 
l’état actuel des jésuites? N’est-il pas no- 
toire qu'ils vivent plusieurs ensemble en 
société ? ne peut-on pas conjecturér qu'ils 
correspondent avec leur général, qui de- 
meure à Rome ? et ne remplissent-ls pas, 
dans les petits séminaires, des fonctions 
relatives à l’instruction publique ? 

Je pourrais faire observer que, d’après 
’état actuel de notre législation, les dis- 
positions de cet édit ne seraient plus en 
vigueur, alors même qu'elles auraient été 
prises pour un temps illimité. 

Mais il n’est nullement nécessaire d’en- 
tamer une discussion à ce sujet, pour ré- 
pondre à l’objection puisée dans Pédit de 
1977 ; il suflit de lire cet édit, pour être 


22 


pleinement convaincu que ses dispositions 
concernaient uniquement les jésuites alors 
existans, et non ceux qui, dans les siècles 
suivans, et par un concours de circonstan- 
ces impossibles à prévoir, pourraient se 
trouver en France. Et en effet, l’article 1°* 
porte : « Ceux de nos sujets qui étaient 
« engagés dans ladite société et compa- 
«gnie des jésuites, et qui avaient été 
« promus aux saints ordres, continueront 
« de vivre dans nos Etats comme particu- 
« liers, etc. » Il s’agit là, bien certaine- 
ment, non des jésuites qui pourront exister 
dans les siècles à venir, mais des anciens 
membres de la société qui avait été dis- 
soute et éteinte dans le royaume. Et c’est 
après les avoir ainsi désignés, que l’édit 
ajoute, article 2.: « Ils ne pourront se réu- 
«ir pour vivre plusieurs ensemble en so- 
« clété, etc. ; » et article 3 : « Nous leur 
« faisons expresses inhibitions et défenses 
« d’avoir ni entretenir aucun commerce 
« ni aucune correspondance, etc. » 2° Les 
mêmes individus sont plusieurs fois appe- 


23 


lés, dans le cours du même édit, ci-devant 
Jésuites. On y fixe les emplois auxquels 
ils peuvent être nommés, et ceux dont ils 
seront exclus ; et l’article 9 leur donne l’as- 
surance « que les ci-devant jésuites con- 
« tinueront de jouir des pensions qui leur 
« ont été accordées, jusqu’à ce qu'ils aient 
« été pourvus d’un bénéfice de 1000 liv. 
« de revenu. » Ainsi, les expressions em- 
ployées dans l’édit de 1777, et les dispo- 
sitions qu’il renferme, font voir clairement 
qu’il n'avait d’autre objet que de fixer et 
d’assurer le sort des anciens membres d’une 
société détruite : c'était un règlement tran- 
sitoire uniquement"relatif à des individus 
alors existans, et dont pas un seul ne fait par- 
tie de l’association actuelle des jésuites (1). 


(1) Un certain nombre de jésuites étaient rentrés 
en France depuis la disgrâce de la magistrature. 
Ils y occupaient paisiblement divers emplois, et 
lon parlait de leur prochain rétablissement. Le 
Parlement rappelé par Louis XVI ayant mani- 
festé des craintes à ce sujet, ce prince, pour les 


24 

Qu'on juge maintenant si l’on peut se 
prévaloir contre eux des édits de Louis XV 
et de Louis XVI, et prononcer que leur 
existence actuelle est contraire aux an- 
ciennes lois du royaume! Nous avons, je 
crois, démontré qu’une telle prétention se- 
rait également déraisonnable et injuste. 

A présent, que dirons-nous des décrets 
de 1790 et 1792, qui abolissent à perpé- 
tuité toutes les corporations religieuses et 
congrégations séculières d'hommes et de 
femmes, ecclésiastiques ou laïques ? D’a- 
bord, nous exprimerons notre étonnement 
que l’on aille chercher dans les fastes de 
la révolution les lois qui doivent régir des 
associations approuvées par la religion ca- 
tholique , que la Charte déclare religion 
de l’Etai. II me semble que cette source 
est trop impure pour qu'on puisse y trou- 
ver, sur un objet de cette nature, des dispo- 


calmer, publia l’édit de 1777. Ce fut de sa part un 
acte de faiblesse qui‘prépara des concessions plus 
funestes encore. 


25 


sitions raisonnables. Puis, après ceue ob- 
servation, nous dirons : 1° Que ces lois 
étaient tyranniques, parce que c'était une 
véritable tyrannie de priver de leur état 
des hommes paisibles, des citoyens soumis 
à l’autorité, dont un grand nombre hono- 
raient les sciences et les lettres par d’utiles 
travaux, et qui, depuis de longues an- 
nées, vivaient dans la retraite, sans trou- 
bler l’ordre public; 2° que ces lois étaient 
anti - chrétiennes, parce qu’elles proscri- 
vaient des associations religieuses établies 
depuis des siècles dans l'Eglise, et approu- 
vées par elle comme autant de moyens efki- 
caces d'observer les conseils évangéliques. 
Or, des lois de cette nature n’existent plus 
ni chez une nation libre ni sous l’empire 
d’une Charte qui proclame tout à la fois et 
la liberté des cultes, et la religion catho- 
lique religion de l'Etat : il en est de ces 
lois comme de tant d’autres publiées dans 
le même temps, notamment de celles rela- 
tives à la fameuse constitution civile du 
elergé, qui, sans avoir été formellement 


26 
rapportées, sont tombées en désuétude, je 
dirai plus, dans l’odieux, depuis le réta- 
blissement du culte catholique. Que l’on 
conserve dans notre recueil de jurispru- 
dence, et que les tribunaux appliquent 
encore aujourd'hui des lois portées, dans 
ces temps orageux, sur les testamens, les 
donations entre vifs, et sur d’autres objets 
semblables, on le conçoit aisément : ces 
lois ne blessent ni une sage liberté ni la 
religion de l'Etat, et l'expérience a pu en 
constater l’utilité. Mais qu’on prétende 
faire revivre aujourd’hui contre la religion 
catholique des lois dont le seul but était 
de l’affaiblir pour la détruire plus tard sans 
retour ; des lois qui supprimaient des 1ns- 
titutions consacrées et approuvées par elle; 
des lois dont la sanction, loin d’avoir été 
donnée librement, fut arrachée à la fai- 
blesse de Louis XVI environné de fac- 
tieux, comme tant d’autres décrets qu'il 
sanctionna également, soit par crainte, 
soit par nécessité, et dont les suites furent 
si funestes et à sa personne et à sa famille; 


Ed | 
et à sa couronne et à son peuple , c’est une 
prétention non seulement injuste, mais ir- 
réligieuse, mais absurde. Quant aux lois 
de l'Empire, on cite mal à propos contre 
les jésuites celle du 8 avril 1802, qui sup- 
prime tous les établissemens ecclésiasti- 
ques, à l’exception des chapitres cathé- 
draux et des séminaires; car, en style de 
jurisprudence, on ne désigne pas ordinai- 
rement les corporations religieuses sous 
le nom d’établissemens ecclésiastiques : 
cette dénomination indique seulement les 
établissemens ou institutions appartenant 
au clergé séculier, tels que chapitres, sé- 
minaires, prieurés, abbayes, et antres bé- 
néfices. La loi de 1802 conservait les cha- 
pitres cathédraux et les séminaires; mais 
elle déclarait supprimés Les autres établis- 
semens ecclésiastiques, c’està-dire, les 
prieurés, les chapitres collégiaux, etc. Ainsi, 
il n’était point question d’abolir à perpétuité 
les communautés religieuses de bénédic- 
uns, chartreux, jésuites et autres. La loi du 
8 avril 1802, ainsi quele concordat de 1801, 


28 


réglait uniquement les intérêts du clergé 
séculier. 

Dans un moment de mauvaise humeur, 
Buonaparte fit publier le décret de 1804, 
par lequel il ordonna que les lois qui s’op- 
posent à l’admission de tout ordre reli- 
gieux dans lequel on se lie par des vœux 
perpétuels, continuassent à être exécutées 
selon leur forme et teneur, et que, doré- 
navant, aucune congrégation ou association 
d'hommes ou de femmes ne pourrait se 
former à l’avenir, sous prétexte de religion, 
à moins qu'elle n’eût été formellement au- 
torisée sur le vu de ses statuts et règlemens. 

’était à un de ces décrets tyranniques et 
irréligieux qui, sous le règne des Bour- 
bons et sous l'empire de la Charte, ne 
peuvent plus figurer dans le code de notre 
jurisprudence. D'ailleurs, sous Buonaparte 
même, ce décret ne fut point exécuté ri- 
goureusement ; Car c'est un fait notoire 
que, durant les années postérieures à l’an 
1804, il exista en France, sous les yeux 
du gouvernement, des maïsons de trap- 


29 
pistes où l’on faisait des vœux perpétuels , 
et un grand nombre de couvens de femmes 
où l’on émettait de pareils vœux. Ainsi, cet 
acte de tyrannie et d’irréligion tomba de 
lui-même dans l’oubli long-temps avant la 
restauration, et, depuis cette dernière et 
heureuse époque, il ne fut jamais question 
de lui supposer de l'autorité, puisque, 
sous les yeux du Roi et des deux Cham- 
bres, divers couvens d'hommes et de fem- 
mes se relevèrent de leurs ruines, et ont 
joui jusqu’à présent d’une paisible exis- 
tence. Et quand le grand dénonciateur de 
France, M. le comte de Montlosier, vint 
signaler à la Chambre des pairs les con- 
grégations et les jésuites comme des insti- 
tutions illégales et dangereuses, les nobles 
pairs se bornèrent à renvoyer sa pétition 
au gouvernement , abandonnant à sa sa- 
gesse le soin de faire ce qu'il jugerait con- 
venable. Le gouvernement n’a pas cru de- 
voir prendre pour guide M. le comte de 
Montlosier ; et nous avons l'espoir que le 
nouveau ministère comprendra assez bien 


30 
la Charte et nos libertés pour laisser dans 
la poussière toutes ces lois et tous ces dé- 
crets dont le temps et le bon sens ont fait 
justice. | 

On n’opposera pas avec plus de succès 
aux Jésuites l'article 291 du Code pénal, 
concu dans ces termes : « Nulle associa- 
« tion de plus de vingt personnes, dont le 
« but sera de se réunir tous les jours, ou 
«à certains jours marqués, pour s'occuper 
« d'objets religieux, littéraires, politiques 
« ou autres, ne pourra se former qu'avec 
« l'agrément du gouvernement, et sous les 
«conditions qu'il plaira à l’autorité pu- 
« blique d'imposer à la société. » 

Les observations que nous venons de 
faire sur le décret de 1804 prouvent clai- 
rement que cet article du Code pénal n’est 
point applicable, surtout depuis la restau- 
ration, aux communautés religieuses d’hom- 
mes ou de femmes. De plus, on donne à 
cet article une interprétation fausse, dans 
la vue de tourmenter les jésuites. Il est 
évident qu’il s’agit ici, non d’une réunion 


31 


de plus de vingt personnes habitant sous 
le même toit, mais d’une réunion d’indi- 
vidus demeurant dans des maisons sépa- 
rées; car les membres des associations in- 
diquées dans l’article 291 se réunissent 
ou tous les jours ou à certains jours mar- 
ques, ce qui désigne, sans aucun doute, 
une réunion de personnes arrivant de di- 
verses maisons où elles habitent, dans le 
domicile de l’une d’elles, ou dans un local 
spécialement affecté aux assemblées, pour 
s’y occuper ensemble d'arts, de lettres, de 
sciences, de politique ou de religion. En 
effet, on ne dirait pas de personnes habi- 
tant sous le même toit et vivant sous une 
règle commune, qu’elles se réunissent 
tous les jours o4 à certains jours marques. 
Elles sont constamment réunies, et n’ont 
pas besoin de se réunir. D'ailleurs, il faut 
bien expliquer ainsi l’article 291 du Code 
pénal : autrement, on devrait soutenir qu’il : 
n'est pas permis à plus de vingt personnes 
d’habiter dans la même maison , ce qui se- 
rait assurément fort désagréable et très- 


32 


ruineux pour un grand nombre de pro- 
priétaires , surtout à Paris; car, une fois 
que des locaiaires demeurent sous le même 
toit , il est incontestable qu'ils peuvent se 
voir et causer, dans le même salon, de re- 
ligion, d'arts, de lettres et de politique, 
et y faire, en un mot, tout ce qu’ils jugent 
convenable, pourvu que, par leurs ac- 
tions, l’ordre public ne soit aucunement 
troublé. 

Enfin, j'ignore comment on a pu sou- 
tenir que deux lois de 1817 et de 1825 
établissent en principe que des établisse- 
mens religieux ne peuvent se former de 
nouveau dans le royaume qu’avec une au- 
torisation de la puissance publique , et 
qu'aux termes de la loi de 1825, cette au- 
‘torisation devant être donnée par une loi, 
les jésuites n’ont qu’une existence illégale; 
car, 1° dans la loi du 2 janvier 1817, il est 
seulement statué « que tout établissement 
« ecclésiastique reconnu par la loi pourra 
« accepter, avec l'autorisation du Roï, tous 
« les biens meubles, immeubles, ou ren- 


33 
« tes, qui lui seront donnés par actes entre- 
« vifs ou par actes de dernière volonté 
« (article 1°"); » 2° que « tout établisse- 
« ment reconnu par la loi pourra égale- 
« ment, avec l'autorisation du Roi, ac- 
« quérir des biens immeubles ou des ren- 
« tes (article 3); » 3° et enfin « que les im- 
« meubles ou rentes appartenant à un éta- 
« blissement ecclésiastique seront possédés 
« à perpétuité par ledit établissement, et 
« seront inaliénables, à moins que l’alié- 
« nation n’en soit autorisée par le Roi. » 
Ainsi, cette loi de 1817, dont le texte tout 
entier est sous les yeux de nos lecteurs, 
ne pose nullement en principe que des 
établissemens religieux ne peuvent se for- 
mer de nouveau dans le royaume qu'avec 
une autorisation de la puissance publique ; 
mais elle déclare seulement : 1° qu'il pent 
exister en France des établissemens ecclé- 
siastiques reconnus par la loi, et 2° que 
ces établissemens ne peuvent ni accepter 
ni acquérir, qu'avec lautorisation du Roi. 
des biens meubles, immeubles et rentes : 


9 
3 


54 

ce qui ne concerne point les jésuites, et ne 
met aucun obstacle à leur existence dans 
le royaume. 

2° La loi de 1625, sur les communautés 
religieuses de femmes , ne prononce point 
la dissolution de celles qui refuseraient ou 
névligeraient de se faire autoriser ; elle 
n'interdit pas non plus la formation de 
nouvelles communautés avant d’avoir sol- 
licité et obtenu l'autorisation du Roi; seu- 
lement elle prescrit les formalités à rem- 
plir par celles qui désirent de jouir d’une 
existence légale qui les rende aptes à ac- 
cepter des legs et des donations. Et quand 
ces formalités sont remplies, quand elles 
sont autorisées ou par une ordonnance du 
Roi, ou par une loi, selon la date de leur 
existence, c’est alors seulement que nul 
établissement nouveau de ceite commu- 
nauté autorisée ne peut avoir lieu sans une 
permission dn Roi accordée par une or- 
donnance. Mais, encore une fois, rien ne 
les oblige à se faire autoriser. IL y a plus : 
pour obtenir une existence légale, il faut 


35 

que déjà elles existent de fait, et par con- 
séquent sans autorisation préalable; car, 
régulièrement, on n’autorise pas à accepter 
des legs et des donations une commu- 
nauté dont l'existence est projetée. Avant 
de lui accorder cette faveur, on veut re- 
connaître l’utilité de ses services; connais- 
sance qu'on ne peut acquérir qu’autant 
qu’elle a déjà existé pendant un certain 
temps sous les yeux du gouvernement (1). 
Ainsi, l’on ne pourrait rien arguer contre 
les jésuites de cette loi de 1825 , alors 
même qu'on voudrait leur appliquer les 
dispositions relatives aux communautés re- 
ligieuses de femmes. 

Nous avons, ce nous semble, suffisam- 
ment éclairci la question légale de l’exis- 
tence des Jésuites en France. Il nous paraît 


(1) Il n'en est pas de même d’un établissement 
nouveau d’une communauté déjà autorisée, parce 
que l’on peut apprécier l’importance de ses services 
par ceux que rendent les établissemens de cette 
sorte déjà existans. 


36 
démontré qu’on ne peut rien opposer de 
raisonnable aux preuves dont nous avons 
appuyé notre opinion. Mais elles vont re- 
ceyoir une force nouvelle, des observations 
qui seront développées dans le chapitre 
suivant. Nous ferons voir que les jésuites 
existent en France sous la protection de la 
Charte, de nos libertés, de nos maximes de 
droit public; et dès lors ce serait une peine 
superflue que d’aller chercher, soit dans 
l’ancienne législation du royaume, soit 
dans les annales de la révolution, soit dans 
la jurisprudence de l'empire, des lois dont 
les dispositions puissent être légitimement 
invoquées contre eux, et contre les établis- 
semens qu’ils dirigent. 


37 
LA 


AAA AAA AAA AAA AAA AA AAA AAA RAR EE AAA ARR AA 


CHAPITRE IL. 


L'existence des jésuites en France ne serait-elle point 
protégée par nos maximes de droit public et par la 
Charte? 


C'EST une maxime de notre droit pu- 
blic, que la vie privée des citoyens est 
hors du domaine de la loi civile; que 
chacun est libre de faire chez soi, dans 
son intérieur, Ce qui convient à ses goûts, 
pourvu que Vordre public n’en soit pas 
troublé. M. Royer-Collard reconnaissait 
l'existence de ce droit, lorsqu'il disait que 
la vie privée des citoyens était mureée. 
D'après cette maxime, on ne doit ni re- 
chercher, ni poursuivre, ni arrêter qui que 
ce soit pour les actes qu’il fait paisiblement 
dans sa maison, sans inquiéter ses voi- 
sins , sans menacer Ja vie, les biens, l'hon- 


38 


neur, la liberté de ses concitoyens, ni la 
tranquillité de l’État. Et si à l’occasion de 
pareils actes on venait à l’expulser de son 
domicile, à le priver de son emploi, dès ce 
moment la persécution remplacerait la 1o- 
lérance, et la tyrannie opprimerait la li- 
berté. Alors, les citoyens se trouveraient 
placés sous le régime d’une hideuse inqui- 
sition exercée sur des actes dont la loi ne 
connaît point el ne saurait connaître ; et 
le gouvernement qui se prêterait à de pa- 
rcilles vexations, deviendrait l’objet de 
l'indignation et de la haine; on ne cesserait 
de lui reprocher qu’il viole les maximes 
de notre droit public, qu’il outrage la li- 
berté des Francais. Et en effet, que diriez- 
vous, messieurs les libéraux, si un simple 
commis était chassé des bureaux d’un mi- 
nistère, pour avoir observé dans son inté- 
rieur certaines pratiques recommandées par 
le Talmud? De quelle philosophique indi- 
gnation ne seriez - vous pas transportés, SL 
un employé des douanes ou des postes, 
des contributions directes ou indirectes, 


39 
se trouvait rudement jeté à la réforme, 
parce qu'une ombrageuse administration 
aurait acquis la certitude que, dans sa vie 
privée, il se conforme au Coran, priant 
comme les musulmans, observant le jeûne 
du ramadan, honorant enfin d’un culte 
particulier le prophête de la Mecque? 
N'est-il pas vrai qu’alors vous n’auriez ni 
assez de journaux, ni assez de pamphlets, 
ni assez de voix libérales, pour crier à l’in- 
tolérance, à la tyrannie, et pour faire ré- 
sonner un terrible 2aro sur le ministre cou- 
pable d’une telle indignité? Eh! de grâce, 
soyez conséquens ; ne pensez plus à expul- 
ser les jésuites des petits séminaires, ou 
bien abjurez vos principes sur l’indépen- 
dance de la vie privée; car les actions exté- 
rieures et publiques des jésuites, sont celles 
de tout autre prêtre français. Ils préchent, 
ils entendent les confessions des fidèles, ils 
administrent les sacremens aux mourans, 
ils font une classe de littérature francaise, 
ou un cours de langue latine, comme les 


5 
membres du clergé séculier employés soil 


49 

dans les paroisses, soit dans l’instruction 
publique. Aucune des fonctions qu’ils rem- 
plissent ne peut être exercée par l’un 
d'eux, sans l’agrément de l’évêque diocé- 
sain; c’est à lui qu’ils obéissent dans tous 
les actes de leur vie publique. Et, comme 
nous l’avons dit plus haut, les ordres de 
leurs supérieurs particuliers quis’y rappor- 
teraient, ne pourraient recevoir leur exé- 
cution qu'avec le consentement des ordi- 
naires des lieux. Ceux-ci ont le droit de les 
renvoyer des petits séminaires, comme il a 
dépendu d’eux de leur en confier la di- 
rection. Ainsi, du côté de leur vie publi- 
que, ils sont inattaquables. 

Direz-vous qu'ils font des vœux perpé- 
tuels interdits par les lois? Mais ces vœux 
se font sans solennité, dans l’intérieur 
d’une maison, et sont des actes de cette 
vie privée que les lois ne peuvent attein- 
dre. Et nous avons d’ailleurs réselu l’ob- 
jection tirée des lois nées au temps de la 
révolution, ou sous l’empire, qui prohi- 
bent les vœux perpétuels. Les jugerez- 


41 
vous punissables parce qu’ils observent les 
constitutions de saint Ignace? Mais c’est 
dans un oratoire privé, ou dans le secret 
de leurs cellules, qu'ils se livrent à ces 
pieuses observances. Aïnsi, elles sont en- 
core des actes de cette vie domestique et pri- 
vée qui est placée hors du domaine de la loi. 
Leur ferez-vous un crime de correspondre 
avec des supérieurs étrangers? Mais puis- 
qu'ils demeurent soumis aux évêques et 
aux lois du royaume, pour ce qui con- 
cerne leur vie publique, ils ne correspon- 
dent avec des supérieurs étrangers, que 
pour des affaires de conscience que la loi 
ne peut régler. Il est d’ailleurs permis à 
tout le monde de correspondre avec quel- 
que étranger que ce soit; et puis, enfin, 
s'asseoir à son bureau dans sa chambre 
pour écrire une lettre, y mettre telle 
adresse qu’on juge convenable, et Ja faire 
jeter ensuite à la poste, ne sont-ce pas 
encore des actes de la vie privée entière- 
ment indépendans de la loi? Enfin, leur 


reprocherez-vous de vivre plusieurs en 50- 


42 


ciété, et de former ainsi une véritable as- 
soclation, sans avoir obtenu l'autorisation 
du gouvernement? Mais il est permis non 
seulement à vingt, mais à trente, à cin- 
quante, à cent personnes d’habiter dans 
la même maison; et quand elles y sont 
une fois réunies, il leur.est entièrement 
libre d’y faire ce qu’elles veulent, pourvu 
qu’elles ne troublent point l’ordre public. 
Et de même qu'elles peuvent y jouer en- 
semble, danser, se divertir, faire de la mu- 
sique, il dépend aussi de leur volonté de 
prier en commun, d’avoir de pieux entre- 
üens, et de prendre leur nourriture dans 
un même réfectoire. Voilà encore des actes 
de la vie privée qui sont du domaine de 
la liberté, et que la loi ne pourrait prohi- 
ber sans tyrannie. Ainsi, tout ce qui cons- 
titue un jésuite et le sépare de la foule des 
chrétiens ou des ecclésiastiques séculiers, 
c’est-à-dire ses vœux, ses observances, sa 
société habituelle, appartient à la vie do- 
mestique, et, sous le régime actuel, de- 
meure dans une indépendance absolue de 


43 

la loi. Sans doute que si, dans les maisons 
où ils habitent, les jésuites formaient des 
conspirations contre l'Etat, contre la sù- 
reté générale, ils se mettraient dans le cas 
d’être cités devant les tribunaux, d’être 
interrogés et punis selon les lois. Mais ce 
n’est point là que se trament de noirs et 
sinistres complots contre le trône et la 
tranquillité publique. Leurs ennemis ont 
des reproches opposés à leur faire; et si 
sous ce rapport ils donnaient prise à la 
censure, à une condamnation juridique, 
on peut facilement croire qu'ils n’auraient 
pas été épargnés. Loin de mériter une telle 
condamnation, 1ks se rendent dignes de la 
reconnaissance du gouvernement, en for- 
mant au Roi des sujets dévoués, aux fa- 
milles des enfans studieux et soumis, et à 
l'Etat des citoyens vertueux. 

De cette discussion, il résulte clairement 
que les jésuites ne pourraient être expul- 
sés des petits séminaires, n1 leur société 
être dissoute, sans qu'il fût porté une at- 
teinte funeste à cette liberté dont jouissent 


44 

tous les citoyens français dans les actes de 
leur vie privée; que leur association, loin 
d’être en opposition avec nos lois, se trouve 
protégée par une de nos maximes de droit 
public les plus constantes; que si, pour 
la dissoudre, on prétendait leur imposer 
des conditions dures et gênantes, de telles 
mesures devraient être réputées vexatoires 
et tyranniques, opposées à nos maximes 
comme à nos mœurs, et que le gouver- 
nement assez imprudent pour les mettre 
à exécution, deviendrait d’autant plus 
odieux à tous les citoyens sages et réflé- 
chis, qu’alors chacun aurait lieu de trem- 
bler pour sa propre liberté. Car un premier 
acte arbitraire est ordinairement suivi d’un 
second de même nature, puis celui-ci d’un 
troisième, sans qu'il soit possible de pré- 
voir où s’arrêtera l’oppression du faible par 
la force séparée du droit. 

Mais il existe encore d’autres maximes 
et d’autres libertés publiques qui placent 
les jésuites à l’abri de toute attaque légale; 
elles sont consignées dans les premiers ar- 


45 
ucles de notre pacte fondamental ; la 
Charte elle-même est le rempart qui pro- 
tége les jésuites contre les traits de leurs 
ennemis; il faut la déchirer, ou laisser sub- 
sister en France leur utile société. 

Je lis, arucle 1°° : « Les Francais sont 
« égaux devant la loi, quels que soient 
« d’ailleurs leurs titres et leurs rangs. » 
Puis, article 2 : « Ils sont tous également 
« admissibles aux emplois civils et mili- 
« taires. » 

L'article 5 et l’article 6 portent : « Cha- 
« cun professe sa religion avec une égale 
« liberté, et obtient pour sor culte la même 
« protection. — Cependant, la religion ca- 
« tholique , apostolique et romaine est la 
« religion de l'État. » 

Voilà des libertés publiques qu'il faut dé- 
savouer, quoique consacrées par la Charte, 
si l'on veut provoquer contre les Jésuites 
la sévérité du gouvernement. Comment, 
en eflet, échapper aux conséquences qui 
découlent de l’admissibilité de tous les 
Français aux divers emplois du royaume, 


46 
comme de la liberté accordée à chacun de 
professer sa religion ? 

Tous les Français sont également ad- 
missibles aux emplois du royaume. Or, un 
prêtre ne cesse point d’être citoyen fran- 
çais parce qu'il devient jésuite; 1l en con- 
serve tous les droits, alors même que, par 
des engagemens de conscience, 1l vient 
d'acquérir ceue dernière qualité. La loi 
veille pour fui comme pour les autres su- 
jets du Roi; elle protége également ses 
biens, son honneur, sa vie, sa liberté. C’est 
en qualité de citoyen français qu’il dispose 
de ses propriétés par testament; qu'il ac- 
cepte des legs et des donations entre-vifs, 
non pour sa société, mais pour lui-même ; 
qu'il peut faire tous les contrats autorisés 
par les lois; qu'il signe des actes notariés 
dont la validité serait reconnue par tous 
les tribunaux de France: qu'il jouit, en 
un mot, de tous les droits civils et politi- 
ques des citoyens français. Et il est clair 
qu’en cette même qualité il pourrait deve- 
nir grand-maître de l’Université, même 


47 
ministre des affaires ecclésiastiques, même 
président du Conseil; ce qui n’arrivera 
pas, soyez tranquilles, mais ce qui néan - 
moins arriverait sans aucune violation du 
pacte fondamental. Loin de là, ce pacte, 
placé sous la foi du serment, lui servirait 
de palladium; car nos jésuites sont Fran- 
çais, et tous les Français sont également 
admissibles à tous les emplois civils et 
militaires. Or, ce même homme objet de 
votre aversion , mais néanmoins citoyen 
français comme vous; qui, d’après nos ins. 
titutions, serait capable de s'élever à un si 
haut degré de fortune et de pouvoir; à qui 
il appartiendrait de contresigner des or- 
donnances royales, de prendre la part 
la plus active aux affaires publiques, 
de diriger enfin, à côté du Roi et par ses 
ordres, le gouvernail du vaisseau de l'Etat, 
vous le jugeriez inhabile à occuper une 
chaire de rhétorique, et même à enseigner 
la septième dans un petit séminaire! En 
vérité, de telles prétentions et un tel lan- 
gage feraient piué, si l’on n’était révolté 


48 
jusqu'au fond de lâme de votre esprit d'in- 
quisition tyrannique , de votre haine insa- 
tiable de proscriptions, de votre intolé- 
rance voilée sous les beaux noms de phi- 
losophie ei d'humanité, de philanthropie 
et de liberte. 

Direz-vous que les fonctions remplies 
par les jésuites, sont des fonctions ecclé- 
siastiques qui n'ont rien de commun avec 
les emplois mentionnés dans cet article de 
la Charte, et que par conséquent, on n’en 
peut rien conclure pour leur défense? Mais 
vous prétendez que les petits séminaires 
confiés à leurs soins ne sont que des col- 
léges déguisés; et par ce motif, vous de- 
mandez qu'ils soient placés sous le régime 
universitaire. Ainsi, les places qu’ils y oc- 
cupent doivent, selon vous, être réputées 
des emplois civils; et dès lors, en leur qua- 
lité de citoyens français, ils ont droit d'y 
prétendre. Que si maintenant il vous plaît 
de les considérer comme des fonctions ec- 
clésiastiques, je vous répondrai que les jé- 
suites sont encore inattaquables ; car lar- 


72 


49 


ücle 1°" de la Charte déclare que les Fran- 
cais sont égaux devant la loi : or, cette 
- égalité n’existerait plus, si, d’après la loi, 
un prêtre se trouvait exclu des emplois ec- 
clésiastiques, parce qu'il serait jésuite, 
quoique d’ailleurs citoyen français. Enfin, 
dans cette dernière hypothèse, les jésuites 
pourraient encore invoquer pour leur dé- 
fense l’article 5 de la Charte, qui, en pro- 
clamant la liberté des cultes, protége le 
libre exercice des fonctions confiées par les 
évêques aux ecclésiastiques dépositaires de 
leur autorité spirituelle. 

Cet arucle de la Charte relatif à la li- 
berté des cultes, demande à être développé 
avec. une certaine étendue, pour, qu’on 
puisse clairement apercevoir comment il 
met les jésuites à l'abri de toute attaque 
légale. 

« Chacun professe sa religion avec une 
« égale liberté, et obtient pour son culte 
« la même protection. 

« Cependant la religion catholique , 
« apostolique et romaine ; est la religion de 
« l'Etat. » 


ñ 


50 


La voilà hautement proclamée cette 
liberté des cultes que l’on vante sans cesse 
comme le chef d'œuvre du siècle de la phi- 
losophie, comme l’un des plus grands bien- 
faits assurés à la France par notre pacte 
fondamental. Eh bien, il est donc libre à 
chaque individu, non seulement de pro- 
fesser les dogmes de la religion catholique, 
et d'observer les préceptes qu’elle impose, 
mais encore d'accomplir les conseils dits 
évangéliques. Car ces conseils ont pour 
objet des œuvres d’une haute perfection 
recommandées par le divin législateur du 
chrisuanisme; elles consisient dans une 
chasteté parfaite, dans la pauvreté reli- 
sieuse, dans une obéissance entière à des 
supérieurs particuliers, même dans des 
choses indifférentes en elles-mêmes, mais 
toujours selon les lois de l’Église, et jamais 
d’une manière contraire aux sages règle- 
mens tracés par la puissance temporelle. 
L’accomplissement de ces œuvres pieuses 
et saintes fait partie du culte catholique, 
c’est-à-dire d’un culte spécial de dévoue- 
ment et de perfection, constamment re- 


51 
commandé et approuvé par l'Eglise catho- 
lique. Et si l’on ne jouissait pas d’une pleine 
liberté de vaquer à de telles œuvres, dès 
lors le culte catholique ne serait pas libre. 
Or, Ja faiblesse humaine a exigé que, pour 
suivre les conseils évangéliques, de pieuses 
associations fussent formées, loin du bruit 
des villes et de la dissipation du siècle. Ces 
associations ont été approuvées par les papes 
et les évêques, en qui réside l'autorité pro- 
pre à la religion catholique, comme des 
moyens de perfection et de salut, comme 
des institutions utiles, nécessaires même 
pour pratiquer librement les conseils évan- 
géliques. Et si vous supprimez arbitraire- 
ment ces associations, vous Ôtez par cela 
même, à une foule de chrétiens, la facilité 
d'accomplir l'Évangile dans sa perfection. 
On comprend en effet sans peine qu’en 
restant au milieu du siècle, Ja plupart 
sont exposés à trop de dissipation, à trop 
de périls, pour mener cette vie d’abné- 
gation et de: renoncement aux Jouissances 
mondaines, qui constitue la perfection de 


l'Evan otle. 


52 

Il ne s'agit pas de discuter ici, avec des 
vues humaines et philosophiques, de quelle 
utilité peuvent être ces ordres monasti- 
ques, ces congrégations religieuses; il suf- 
fit de faire observer que les conseils évan- 
véliques font partie du culte catholique ; 
qu'on Ôterait à la plupart des chrétiens la 
faculté d’y conformer leur conduite, si l’on 
supprimait les associations religieuses ; que 
ces corporations établies dans les déserts de 
la Thébaide durant le temps des persécu- 
ions des empereurs romains (1), furent 
constamment protégées, après la paix ren- 
due à l'Eglise, par tous les princes chrétiens 
qui favorisèrent le libre exercice de la re- 
ligion catholique. Concluons de à qu’un 
souvernernent qui les proscrirait, quand 
la Constitution de l'Etat proclame la liberté 
absolue des cultes, n’agirait pas seulement 
d’une facon arbitraire et tyrannique, mais 


morte rate 


(1) La plupart des solitaires qui vivaient dans 
les déserts avaient des supérieurs auxquels ils obéis- 
saient, Ceux-ct prenaient le nom d’abbes. 


53 
se mettrait dans une scandaleuse opposi- 
Uon avec cette même Constitution. 

Eh quoi! serait-il libre, le peuple infor- 
tuné qui se trouverait régi par un gouver- 
nement assez ennemi de l'intérêt public 
pour interdire les sociétés de commerce, 
les compagnies d’assurance, les académies 
littéraires, en un mot, les associationsayant 
pour objet de faire fleurir dans l'Etat l’in- 
dustrie et le commerce, les sciences et les 
lettres? Au lieu de l'appeler 7 peuple 
libre , ne déploreriez - vous pas son sort, 
comme celui d’un esclave dans les fers? 
Et votre amour pour la liberté tronverait-1l 
des expressions assez énergiques pour pein- 
dre la tyrannie du gouvernement qui le 
réduirait à cet état d'abjection et de ser- 
vitude? Et vous oseriez prétendre que le 
culte catholique serait libre sous un gou- 
vernement qui pousserait Ja dureté et le 
despotisme jusqu'à proscrire les associa- 
tions religieuses établies pour pratiquer la 
perfection du christianisme, pour rendre 
à Dieu un culte spécial recommandé for- 


mellement dans le code sacré de l'Evan- 


54 
aile, par le législateur même de la religion 
catholique! Croyez-vous donc que ces asso- 
clations ne soient pas aussi nécessaires à 
des chrétiens pour porter la perfection de 
l'Evangile jusqu’à l’héroïsme, que les so- 
clétés commerciales ou littéraires ne le 
sont pour exploiter des mines, étendre les 
progrès de la navigation, ou accroître les 
lumières de la science et des lettres? 
L'homme est faible dans l'isolement; il ne 
devient fort que par la réunion de ses 
semblables. Cela est vrai en tout, et par- 
tout, dans l’ordre moral comme dans l’or- 
dre physique, dans le monde religieux 
comme dans le monde social et politique. 
Et priver des chrétiens, des prêtres, de 
la faculté de se réunir pour vivre sous un 
même toit et sous une règle commune, 
afin de se fortifier dans la pratique des 
- vertus évangéliques par l'attrait de l’exem- 
ple, par la communauté du travail et des 
prières, par les exhortations et les conseils 
de l'amitié, par l’ascendant d’une autorité 
ferme, mais douce et paternelle, placée 
dans les mains de supérieurs éclairés et 


»= 


55 

vertueux, c’est faire peser sur la religion 
une véritable tyrannie; c’est mettre des 
entraves au culte catholique, au lieu de 
le proclamer libre; c’est enfin outrager la 
Charte, qui protége les libertés religieuses 
aussi bien que la liberté civile et indivi- 
duelle. 

Sans doute ces associations demeurent 
sous la surveillance de la haute - police, 
comme les réunions d’hommes dans tous 
les Etats. Mais surveiller, n’est pas dé- 
truire. Que le gouvernement ait l'œil 
ouvert sur les corporations religieuses ; 
qu’il se concerte avec l’autorité ecclésias- 
tique, soit pour les réformer, s’il existe 
des abus qui excitent sa sollicitude, soit 
pour les supprimer, si au lieu d’être des 
asiles de vertu, elles devenaient des foyers 
de désordres et de vices; qu'il punisse 
même selon la rigueur des lois les êtres 
dégradés qui, sous le manteau de la reli- 
gion , troubleraient l’ordre social ; rien de 
mieux : l'intérêt de la société, de la reli- 
sion l'exige. Mais qu'il n’aille pas jus- 
qu'à renverser indistinctement les associa- 


56 
uons religieuses approuvées par les évé- 
ques , qui présentent le spectacle de la paix, 
de la charité, de la vertu; ou bien il cesse 
aussitôt de surveiller pour détruire, et loin 
de protéger la liberté des cultes, il tyran- 
nise la religion de l'Etat. 

Pour combattre cette doctrine, dont la 
vérité brille d’une manière si frappante, on 
a prétendu que ces corporations religieuses 
n’appartenant point à l’essence de la reli- 
gion, le culte catholique pouvait être libre, 
sans qu’elles fussent autorisées dans l'Etat; 
mais cette objection se trouve résolue par 
toutes les observations que nous venons de 
faire sur les conseils évangéliques considé- 
rés comme faisant partie du culte catholi- 
que, et sur la nécessité des corporations 
religieuses, pour offrir aux chrétiens un 
moyen sûr et efhicace de rendre à Dieu, 
selon leur vocation, ce culte de dévoue- 
ment et de perfection. Ajoutons qu'il se- 
rait par trop ridicule de soutenir que le 
culte serait libre sous une administrauon 
despotique qui, par divers prétextes, sup- 
primerait les processions dans l’intérieur 


=" 


57 
des églises, les expositions du Saint-Sacre- 
ment à certaines fêtes, le chant des vé- 
pres, etc. Et cependant ces cérémonies 
n’appartiennent point à l’essence de la re- 
lision ; car elles pourraient être suppri- 
mées, sans que le culte catholique, d’ins- 
titution divine, recût la moindre altéra- 
tion. Convenez donc aussi que ce même 
culte ne serait point libre dans l'Etat, si 
le gouvernement supprimait des associa- 
tions religieuses dont les membres se 
montrent parfaitement soumis aux lois du 
royaume ; qui, loin de troubler la société, 
’édifient par des exemples de vertu, et 
que les évêques approuvent, pour fournir 
aux fidèles un moyen efficace de prati- 
quer les conseils évangéliques. En un mot, 
un culte n’est pleinement libre, qu’autant 
qu’on jouit d’une entière liberté de prati- 
quer les observances, non seulement in- 
dispensables, mais simplement utiles, qui 
en font parue; qu'autant qu'il est permis à 
chacun des membres qui professent une 
religion, d'entrer dans les confréries ou 


58 

associations approuvées par l'autorité spi- 
rituelle, comme moyens ou nécessaires ou 
uüles de rendre à Dieu un culte recom- 
mandé dans l’Evangile. Le droit du gou- 
vernement consiste alors dans la surveil- 
lance qu’il exerce sur elles, et non dans 
la faculté de les détruire, à moins qu’elles 
ne troublent ou n'’altèrent l’ordre social. 
Au-delà de ces limites, je n’apercois plus 
que Parbitraire et la tyrannie, qu'il est 
impossible de concilier avec la liberté. 

On objecte encore qu'avant la révolu- 
tion, lorsque la religion catholique était 
dominante, les corporations religieuses ne 
pouvaient subsister sans une autorisation 
légale. Oui, pour jouir d’une existence lé- 
gale, c’est-à-dire pour devenir habiles à 
posséder des biens en toute propriété, pour 
obtenir le droit d’accepter des legs et des 
donations entre-vifs, mais non pour jouir 
d’une simple existence de fait. Car, parmi 
les ordres religieux établis dans le royaume 
en si grand nombre, on n’en citerait peut- 
être pas un seul qui n’eût joui d’une exis- 


EE 


29 

tence de fait, avant d’avoir obtenu une 
existence de droit : celle-ci n’était accordée 
aux associations religieuses, qu'après un 
certain temps d'épreuves, et lorsque le gou- 
vernement avait reconnu leur utilité. Telle 
était du moins la règle qu’on suivait ordi- 
nairement à cet égard; et il est facile d’a- 
percevoir que la sagesse conseille de s’y 
conformer. En agissant différemment, on 
s’exposerait à revêtir d’une autorisation lé- 
gæle des corporations qui ne mériteraient 
pas cette faveur. 

On n’a pas craint d’alléguer contre la 
doctrine établie ci-dessus, les diverses 
constitutions politiques qui se sont succé- 
dées depuis 1789 jusqu’en 1799, et qui 
avaient rigoureusement prohibé toutes cor- 
porations religieuses et toutes institutions 
monastiques, quoiqu’elles eussent proclamé 
la liberté des cultes. Mais à qui persua- 
dera-t-on que le culte catholique fut 
libre dans ces temps de lamentable mé- 
moire , où, après avoir bouleversé tout l'or- 
dre ecclésiastique par une constitution ci- 


60 
vile du clergé, et précipité l'Eglise de 
France dans le schisme, on en vint à un 
tel excès de fureur impie contre la reli- 
gion catholique, que ses temples furent 
fermés ou profanés, ses ministres déportés 
ou livrés au glaive du bourreau, et toutes 
ses institutions renversées de fond en com- 
ble? La liberté des cultes existait alors, 
comme la liberté civile et individuelle, 
dont on ne cessait de parler au peuple avec 
emphase, dont le nom était inscrit sur 
le fronuspice des édifices publics, alors 
même que les citoyens les plus paisibles et 
les plus vertueux étaient traduits chaque 
jour devant les tribunaux révolutionnai- 
res, précipités pêle-mêle dans des cachots 
infects, puis conduits à l’échafaud, ou 
noyés et massacrés en masse avec une bar- 
barie et une soif de sang qui surpasse la 
férocité des tigres. Une telle objection ne 
mérite pas l'examen d’une discussion sé- 
rieuse ; le silence de l’indignation devrait 
être la seule réponse à de pareilles cita- 


lions. 


61 


Ce n’est pas non plus dans les actes du 
youvernement de Buonaparte qu'il faut 
aller chercher des modèles pour protéger 
la liberté des cultes. Parmi les lois organi- 
ques publiées pour l'exécution du concor- 
dat de 18071, il existe des dispositions 
diamétralement opposées à la discipline 
ecclésiastique de France, contre lesquelles 
le pape et les évêques ont constamment ré- 
clamé, et dont plusieurs sont tombées en 
désuétude, de l’aveu des jurisconsultes les 
plus éclairés. On sait d’ailleurs comment 
le culte catholique était libre sous l’Em- 
pire, lorsqu'il était défendu de correspon- 
dre avec le chefde l'Eglise, promené d’exil 
en exil et de prison en prison; lorsque trois 
évèques furent envoyés à Vincennes pour 
avoir été d’un avis différent de celui de 
Napoléon sur des matières théologiques. 
Est-il donc si étonnant que cet homme si 
impérieux et si fier, aux yeux duquel toute 
résistance passait pour un crime, surtout 
de la part des ecclésiastiques, ait violé la 
liberté des cultes par le décret de 1804, 


62 

concernant les corporations religieuses ? Il 
a blessé bien d’autres libertés, maintenant 
chères aux libéraux. Je ne citerai que la 
liberté de la presse, au maintien de la- 
quelle devait veiller sans relâche une com- 
mission composée de sénateurs. Or, qui 
ne sait qu'un comité de censure remplaça 
constamment cette commission du Sénat, 
dont l'existence avait été décrétée dans 
les constitutions de l’Empire. En fait de 
libertés, ne cherchons pas des modèles 
dans les actes du despotisme. C’est la 
Charte interprétée avec bon sens et loyauté 
qui doit nous servir de flambeau, comme 
de sauvegarde. 

Enfin, on nous cite l’exemple des cha- 
pitres, des séminaires, ou autres établis- 
semens ecclésiastiques, lesquels, sous Pem- 
pire de la Charte, ne peuvent être fon- 
dés sans l’autorisation du Roi. On ne fait 
pas atiention que ces établissemens jouis- 
sent d’une existence légale. Ils sont re- 
connus par la loi, et, comme tels, dotés 
par le gouvernement, et déclarés habi- 


63 


les à recevoir des legs et des dons. Or, 
puisqu'ils sont reconnus par la loi et mis 
par elle en possession de certaines préro- 
gatives , il est dans l’ordre que leur fonda- 
tion soit soumise à l’accomplissement des 
formalités prescrites pour les en faire jouir. 

Il n’en est pas de même de ces associa- 
uons religieuses qui ne demandent rien 
au gouvernement, et ne recoivent de lui 
aucune faveur. Car, pourquoi ne pourraient- 
elles se former sans autorisation ? serait-ce 
dans la crainte qu’elles ne s’enrichissent 
aux dépens des familles? Mais n'étant pas 
reconnues par la loi, elles ne peuvent pos- 
séder des biens, des propriétés, et tout 
testament fait à leur profit serait déclaré 
nul. Est-ce qu'on redouterait de leur part 
des troubles, des désordres dans la société ? 
Elles ne sont formées que pour suivre V'É- 
vangile dans ce qu'il offre de plus sublime 
à l’héroisme de la vertu; et placées comme 
les autres réunions d'hommes sous la sur- 
veillance de la haute police, elles tombe- 
raient sous les coups de lautorité, à l’ins- 


64 
tant même où on les verrait se montrer 
ennemies de l’ordre social. Craindrait-on 
encore qu'en se mulüpliant , elles ne privas- 
sentl'Étatdes avantages qui naissent des ma- 
riages ? Dans ce cas, l’autorité temporelle se 
concerterait avec l'autorité spirituelle, pour 
prévenir cet abus. Mais on peut se rassu- 
rer pleinement à ce sujet ; l'esprit du siècle 
ne pousse pas la foule vers les couvens. 
Nous avons plus à redouter un excédent 
qu'un défaut de population. Et sil faut à 
un peuple policé des sociétés de commerce 
et des académies littéraires, il lui faut 
aussi, dans la décadence des mœurs amolies 
par le luxe, des exemples de vertu qui 
condamnent le désordre, des asiles pour 
l’innocenceexposée, des maisons de retraite, 
soit pour le crime pénitent, soit pour les 
hommes que des ambitions trompées dé- 
goûtent du monde, soit pour le soulagement 
des familles peu aisées qui descendent du 
rang qu’elles occupent dans l’ordre social, 
par l'impuissance de placer honorablement 
les enfans dont elles se trouvent surchar- 


65 

gées. Enfin , il faut à la France, telle que 
la révolution l’a faite, des communautés 
pieuses occupées de secourir tous les genres 
d’infirmités et de malheurs ; mais surtout 
des corporations ecclésiastiques qui, sans 
être dominées par aucun esprit d'intérêt 
personnel, se consacrent à l’éducation de la 
Jeunesse avec cette infatigable activité, avec 
ce dévouement absolu que la religion seule 
peut inspirer et produire. Aussi le vœu de 
voir s'élever sur le sol de la patrie des as- 
sociations animées de cet esprit d’héroisme 
chrétien, a-t-1l été souvent exprimé par un 
grand nombre de conseils-généraux de dé- 
partement ; et la France, loin de les repous- 
ser, les appelle par l’organe de ses citoyens 
les plus respectables. 

Tirez maintenant les conséquences des 
principes que nous avons développés dans 
l'interprétation la plus claire et la plus na- 
turelle de l’article de la Charte relatif à la 
liberté des cultes, et voyez si, sous l'égide 
de ce pacte fondamental et sacré, les Jé- 
suites ne sont pas à l’abri de toute attaque 

5 


66 | 
légale. Ne forment-ils pas une de ces as- 
sociations religieuses approuvées par les 
ordinaires des lieux, où l’on fait profes- 
sion de suivre ces conseils évangéliques 
dont l'observation fait partie du culte ca- 
tholique? Et loin d’inspirer des craintes à 
l'Etat, ne lui offrent-ils pas de nouveaux 
gages de sécurité et de bonheur? N’est-il 
pas vrai que dans toutes les villes où ils 
ouvrent une maison d'éducation, aussitôt 
des élèves nombreux viennent se placer 
sous leur direction? Et cette confiance que 
leur témoignent les pères de famille, n’at- 
teste-t-elle pas de la manière la plus frap- 
pante, leur capacité, leur dévouement, la 
bonté de l’éducation qu’ils donnent à la 
jeunesse, la haute utilité de leurs services ? 
Voyez ensuite la haine profonde que leur 
portent les ennemis les plus furieux de 
l'ordre social, et à ce signe reconnaissez la 
pureté de leurs principes religieux et po- 
litiqués, comme la sincérité de leur zèle 
pour les intérêts et la gloire de l’auguste 
dynastie qui règne sur la France. Devant 


67 

des faits de cette nature, aussi publics, 
aussi incontestables , toutes les puériles ac- 
cusations de régicide, de cupidité, d'am- 
bition , de morale suspecte, doivent aussitôt 
s’évanouir comme de vains fantômes qui ne 
peuvent troubler que des têtes faibles et 
malades. 

Ainsi, il n’existe aucun prétexte dont 
on puisse se prévaloir pour proscrire en 
France l'association religieuse des jésuites ; 
et le jour où une telle proscription serait 
prononcée, le gouvernement aurait porté 
une funeste atteinte à la Charte dans ses 
dispositions relatives à l’admissibilité des 
Français aux divers emplois du royaume, 
comme à la liberté pleine et entière des 
cultes. Une telle proscription devrait encore 
être abhorrée comme une publique et scan- 
daleuse violation de cette liberté civile et 
individuelle dont jouit tout citoyen fran- 
çais, sous l'empire de nos lois, dans tous 
les actes de sa vie domestique et privée. 

Ainsi, il ne s’agit plus d’aller fouiller 
dans nos anciens recueils de jurisprudence 


68 
pour y trouver des édits, des lois et des 
décrets qu'on puisse opposer à l'existence 
des Jésuites. Toutes les dispositions qu’on 
aurait pu autrefois faire valoir contre eux 
ont été effacées par la main auguste qui a 
écrit la Charte et qui l’a octroyée à la 
France. C’est donc un devoir pour le gou- 
vernement, non seulement de tolérer leur 
société, mais encore de la protéger. Etsien 
jetant dans l'oubli tous les principes consa- 
crés soit par la Charte, soit par nos maxi- 
mes de droit public, on venait à prononcer 
sa suppression, dès lors il ne faudrait plus 
parler ni de liberté individuelle, ni de li- 
berté civile, ni de liberté religieuse ; toutes 
ces libertés seraient indignement foulées 
aux pieds. Nous ne vivrions plus sous 
l'empire de la Charte, mais sous la main 
de fer d’une administration oppressive et 
tyrannique. Que les libéraux cessent donc 
de provoquer les rigueurs du gouverne- 
ment contre les jésuites, ou bien qu'ils dé- 
clarent nettement ne respecter la Charte, 
ne vouloir de la Charte que selon leurs ca- 


69 


prices et dans l'intérêt de leur parti. C'est 
pour eux, j'en conviens, une alternauve 
fâcheuse, mais elle est certaine et inévi- 


table. 


70 


AV UE M M UE MUR UM LULU UE RAA EU LUE LA 


CHAPITRE IE 


Quels sont les abus signalés dans les petits séminaires 
dirigés par les jésuites ou autres ecclésiastiques, 
comme contraires aux ordonnances royales? 


IL faut que ces abus soient bien graves, 
puisque, sur le rapport du garde des sceaux, 
ministre de la justice, une commission ex- 
traordinaire a été nommée pour les cons- 
tater, et pour soumettre ensuile à un sé- 
rieux examen les mesures complètes et ef- 
Jicaces destinées à leur répression. Cepen- 
dant, amis des jésuites, rassurez-vous; ce 
ne sont ni les intérêts de la religion, ni les 
intérêts de la monarchie, ni l'intérêt des 
pères de famille qui se trouvent compromis 
par ces énormes abus. Le gouvernement 
n’est point inquiet sur les doctrines ensei- 
gnées par les jésuites à leurs élèves. Il sait 


71 

fort bien que la jeunesse instruite dans leurs 
écoles se distingue par la pureté des senu- 
mens religieux et monarchiques. Il n’a pas 
de craintes non plus relativement aux 
mœurs. Dansaucun collége elles ne sont sur- 
veillées avec plus de soins et de succès. Ce 
ne sont pas les périls de la science qui ex- 
cltent sa sollicitude; jamais on ne reprocha 
aux jésuites d’avoir propagé l’obscuran- 
üsme , et leurs succès dans l’insitrucuon de 
la jeunesse, comme dans la culture des 
lettres et des sciences, ne sauraient être l’ob- 
jet d’un léger doute , encore moins d’une 
discussion sérieuse. 

Quels sont donc les graves intérêts com- 
promis dans les petits séminaires ? On es 
appelle intéréts materiels de l'Univer- 
sité; car on y recoit, outre les aspirans au 
sacerdoce, des enfans qui n’ont aucune 
vocation pour cet état; 1l arrive même sou- 
vent que ceux-ci sont plus nombreux que 
les premiers : d'où il résulte que ces éta- 
blissemens ressemblent plutôt à des col- 
léges qu’à des petits séminaires. Aussi les 


ne 

élèves ne portent-ils point l’habit ecclésiasu- 
que, et c’est un fait certain, dit-on, qu'ils 
reçoivent des lecons de danse et d’escrime, 
exercices qui conviennent peu à des aspi- 
rans au sacerdoce. Mais ce qu'il y a de 
plus sérieux dans tout ceci, c'est que les 
parens ne paient point la rétribution uni- 
versitaire ; et nous verrons en effet qu'à 
cela seul se réduit tout ce qu’il y a d’abus 
énormes dans les petits séminaires. Nous 
parlerons seulement de ceux dirigés par 
les jésuites : si leur innocence estreconnue, 
on fera volontiers grâce à tous les autres. 

D'abord nous ferons observer qu'il y a 
beaucoup d’exagération dans ces diverses 
accusations dirigées contre les jésuites. On 
a osé avancer et soutenir qu'il existait sous 
leur direction tel petit séminaire d’où 1l 
ne sortait pas un ecclésiastique tous les 
ans, et, en preuve de cette assertion, on 
a nommé Saint-Acheul ; assertion cepen- 
dant de toute fausseté, car plus de cinq 
cents prêtres sortis de ce petit séminaire, 
exercent aujourd’hui les fonctions ecclé- 


75 

siastiques dans les seuls diocèses d’ Amiens 
et de Beauvais; et l'on voudra bien nous 
accorder que Saint - Acheul, fondé vers 
la restauration, ne compte pas cinq cents 
ans d'existence. Outre les Belges que la 
persécution du gouvernement des Pays- 
Bas a forcés de chercher un asile dans ce 
même établissement, et qui aspirent aux 
ordres sacrés, il y a régulièrement trois ou 
quatre cents élèves destinés à combler les 
vides du sanctuaire. Et d’après les dispo- 
sitions prises à cet égard par l’évêque dio- 
césain, Saint-Acheul fournira annuelle- 
ment trente-cinq ou quarante prêtres. On 
voit, d’après ces renseignemens pris sur les 
hHeux, combien on doit être défiant toutes 
les fois qu’il s’agit de griefs imputés aux 
jésuites. 

Quant à ce qui concerne la danse et 
l'escrime , l’assertion est encore de toute 
fausseté. Et nous invitons ceux qui n’ajou- 
teraient point de foi à nos paroles, à faire 
dévotement le pélerinage de Saint-Acheul, 


comme n’a pas craint de le faire M. Du- 


74 


pin aîné, non suspect de jésuitisme. El leur 
sera facile alors de se convaincre de notre 
véracité. 

Nous ne nions cependant pas qu’à Saint- 
Acheul et dans d’autres petits séminaires, 
il n’y ait un nombre plus ou moins grand 
d'élèves sans vocation pour l'état ecclé- 
siastique. Mais observez que parmi ces 
derniers, plusieurs y sont envoyés par 
leurs parens, dans l’espoir que leurs incli- 
nations se dirigeront insensiblement vers 
cet état; et sans doute par considération 
pour un tel motif, on leur fera grâce ; ils 
ne seront pas comme des profanes, impi- 
toyablement chassés des écoles ecclésias- 
tiques secondaires. Quant aux autres, un 
motif d’une autre nature exige encore qu'ils 
soient épargnés. 

La plupart et même Îa très-grande ma- 
jorité des aspirans au sacerdoce n’appar- 
tiennent point aux classes opulentes ou 
aisées de la société. S'ils n’étaient élevés 
gratuitement, les portes du sanctuaire leur 
seraient à jamais fermées, et la religion, 


7 
qui ne peut exister sans sacerdoce, périralt 
en France, faute de prêtres. Cependant le 
gouvernement, qui a fondé des bourses 
dans les colléges royaux, et même pour 
les grands séminaires, ne dote point les 
écoles ecclésiastiques secondaires. Quelle 
que soit leur importance, elles ne figurent 
en aucune manière sur le budget, n1 pour 
des bourses, ni pour des secours de quel- 
que nature qu’ils soient. Les conseils-gé- 
néraux de département qui votaient quel- 
ques mille francs pour le vestiaire et 
l'entretien des professeurs, se sont abstenus 
de le faire, quand ils ont vu M. de Cor- 
bière rejeter de tels votes comme abusifs. 
D'un autre côté, les quêtes diocésaines 
suffisant à peine aux besoins des grands 
séminaires, dont les dépenses ne sauraient 
être couvertes par le produit des bourses 
royales, ne peuvent être employées au 
soutien des écoles ecclésiastiques secon- 
daires. Dans cet état de choses, si vous 
décrétez l'expulsion des élèves appartenant 
à des fanulles riches, mais qui ne mani- 


76 
festent aucune vocauon pour le sacerdoce, 
alors vous enlevez à ces établissemens l’u- 
nique ressource qui puisse maintenir leur 
existence, celle des pensions que ces en- 
fans leur apportent. Alors vous dites aux 
maîtres et aux élèves du sanctuaire : Sortez 
de cette école ou mourrez de faim. Alors, 
vous êtes forcés de convenir que l’ordon- 
nance royale qui autorise les évêques a 
établir un petitséminaire par département, 
ne leur accorde plus qu’une faculté déri- 
soire, celle de fonder une école ecclésias- 
tique secondaire, mais à cette condition, 
qu'il ne lui sera laissé aucun moyen de 
subsistance. Est-ce là donner un sens rai- 
sonnable à un acte émané de l'autorité du 
Roi, dans l’intérêt de la religion ? Ne serait- 
ce pas plutôt en faire un monument de 
dérision et d’insulte, aussi indigne de la 
majesté royale qu'injurieux aux évêques 
de France et à la religion elle-même? Telle 
n'est point la conduite des fils aînés de 
l'Eglise. Le sang de saint Louis dont ils 


77 
sont issus, leur inspire des sentimens et 
plus élevés et plus chrétiens. 

En privant les évêques de la faculté de 
recevoir dans leurs petits séminaires, outre 
les aspirans au sacerdoce, des enfans de 
familles riches destinés à un autre état, vous 
en prononcez donc la destruction, et par 
conséquent , celle de la religion en France. 
Car, sans petits séminaires, plus de sacer- 
doce, et sans sacerdoce plus de religion. 

Avant la révolution, quoiqu'il n’y eût 
point, ou qu'il n’y eût que très-peu de petits 
séminaires, le clergé était, il est vrai, 
fort nombreux ; mais à cette époque, il pos- 
sédait d’immenses richesses; et l'or qui 
brillait dans le sanctuaire devenait un puis- 
sant appât pour les familles. Loin d’éloi- 
gner leurs enfans de l’état ecclésiastique, 
des parens inconsidérés et violens les for- 
aient souvent d’y entrer. Ainsi, l’on n’a- 
vait pas besoin de petits séminaires pour 
combler les vides du clergé. Tout portait 
vers cet état une portion notable de (a jeu- 
nesse du royaume : d’abord, l'esprit de foi 


78 
et de piété qui y régnait, puis la fortune 
dont jouissait l'Eglise, puis encore l’in- 
térêt des familles, surtout dans un royaume 
où l'héritage paternel était presque tout 
entier transmis aux aînés. Maintenant, au 
contraire, les esprits sont moins que jamais 
inclinés vers la religion; le clergé, dé- 
pouillé de ses anciennes richesses, ne jouit 
plus de la considération attachée à la for- 
tune, et la plupart des familles riches re- 
douteraient de voir un de leurs membres 
entrer dans le sanctuaire. Sous le rapport 
temporel, l’état ecclésiastique est considéré 
comme le dernier de ia société, surtout 
dans un siècle avili par la soif de l'or, et 
dévoré par un esprit de révolte et d’irré- 
ligion. Aussi expérience a-t-elle prouvé 
dans toute la France, que pour mettre la 
jeunesse à l’abri d’un funeste dégoût pour 
le sacerdoce , il est indispensable de l’éle- 
ver dans des établissemens séparés. Les 
colléges royaux ne fournissent presque au- 
cun sujet; et lorsque des aspirans à l'é- 
tat ecclésiastique se trouvent confondus 


79 

dans une foule de jeunes gens ayant des 
vues pour le monde, ils perdent facile- 
ment leur vocation. Pour la conserver, il 
faut qu’ils soient nombreux dans les mêmes 
établissemens, et dirigés par des ecclésias- 
tiques attentifs à entretenir leur goût pour 
les fonctions sacrées. Ces établissemens, 
ce sont les petits séminaires ; supprimez- 
les, et c’en est fait du sacerdoce et de la 
religion. 

Mais nous n'avons pas encore épuisé la 
source des accusations : les élèves des pe- 
tits séminaires ne portent point l’habit ec- 
clésiastique, et l'Université se trouve frus- 
trée de cette lucrative rétribution que de- 
vraient au moins acquitter les parens de 
ceux qui ne se destinent point au sacer- 
doce....; autres griefs imputés aux petits 
séminaires dirigés par les jésuites ! 

Voici donc la grande question des jé- 
suites en très-peu de temps réduite à une 
affaire d’habits et d'argent. II me semble 
qu'alors les nuages qui obscurcissaient cette 
question se dissipent heureusement, et que 


80 


bientôt les difhicultés se trouveront telle- 
ment aplanies, qu'il sera on ne peut plus 
facile d’arriver à une solution claire et sa- 
usfaisante. 

D'abord , on conviendra facilement qu'il 
appartient aux évêques de fixer la couleur 
et la forme de l’habit ecclésiastique; ja- 
mais ce droit ne leur a été contesté; et les 
Parlemens, qui, dans le dernier siècle, em- 
piétèrent si souvent sur la juridiction spi- 
rituelle, voulurent bien laisser les évêques 
en possession tranquille de cette haute 
prérogative. Ainsi, nous espérons que, mal- 
gré les terribles envahissemens de l’ambi- 
ueux parti-prêtre, on n’élevera aucune 
prétention à cet égard, et que l’Université 
se gardera de revendiquer le droit de ré- 
oler ce point de discipline ecclésiastique , 
surtout s1 elle a du respect, ce que nous ne 
ne révoquons pas en doute, pour les décrets 
du concile écuménique de Trente, qui 
charge de ce soin les premiers pasteurs des 
diocèses. 


On voudra bien nous accorder encore, 


81 

qu'il n’est pas convenable de revêtir de la 
soutane une troupe nombreuse de marmots 
ou de jeunes gens qui éprouvent le besoin 
de se mouvoir librement, et pour qui cet 
habit long serait par trop incommode dans 
les courses et les jeux propres à leur âge, 
Outre qu’une pareille disposition semble- 
rait peu libérale , ne blesserait-elle pas les 
convenances, en faisant porter à des en- 
fans qui jouent et folâtrent à leur aise, le 
costume dont sont revêtus les ministres de 
la religion, au milieu de leurs graves et 
augustes fonctions? 

Enfin, nous ferons observer que la néces- 
sité d'admettre dans les petits séminaires, 
pour les soutenir, des enfans que leur vo- 
cation n’appelle pas à prendre place dans 
les rangs du clergé, étant une fois établie 
et reconnue, il y aurait de l’inconséquence 
et même de la haine pour la religion, à 
exiger que les élèves portassent un habit 
trop ecclésiastique, qui éloignerait les pa- 
rens de les y envoyer. Ce serait, par une 
voie astucieuse et indirecte , supprimer les 

6 


82 


ressources nécessaires à leur existence. Et 
certes, un ministère qui, dans l'intérêt des 
colléges de l’Université, adopteraitune telle 
mesure, aurait trompé la sagesse du roi ; 
sous prétexte de rendre ces colléges plus 
florissans, et la rétribution universitaire 
plus copieuse, il porterait le coup de la 
mort à la religion en France, par la des- 
itruction d’un grand nombre de petits sé- 
minaires. 

Quel pourrait donc être l’habit ecclé- 
siastique pour les élèves de ces utiles éta- 
blissemens ? Il nous semble que l’Univer- 
sité aurait lieu de se tranquilliser sur la 
forme et la couleur de ce vêtement, sl 
était réglé qu'il consisterait dans un habit 
ét une cravate de couleur noire. Ce cos- 
tume sufhrait pour distinguer les élèves 
ecclésiastiques de ceux des colléges, et ré- 
veiller en eux le souvenir de leur vocation ; 
et nous croyons que déjà il a été générale- 
ment adopté dans les écoles ecclésiastiques 
secondaires. 

Reste à examiner la question relative à 


83 

la rétribuuion universitaire. Au moins, 
dira-t-on , 1l n’est nullement dans l’ordre 
que l’Université soit frustrée de la rétribu- 
tion qui lui est due par les familles dont 
les enfans suivent des cours publics de la- 
tinité, sans aucune vue pour le sacerdoce. 
Or, voilà cependant ce qui arrive, lors- 
qu'on les admet dans les petits séminaires. 

Nous pourrions faire remarquer que 
lorsque des parens, mus par le désir de 
donner à leurs enfans une éducation plus 
fortement religieuse, morale et monarchi- 
que, les envoient de préférence dans un 
petit séminaire, ils se privent , par le motif 
le plus louable, du bienfait des bourses 
royales dont jouissent les colléges de V'U- 
niversité, et qu'ainsi il n'y aurait pas excès 
de générosité à les déclarer affranchis d’une 
onéreuse rétribution. Mas enfin, si l’on 
pense que c’est là un abus énorme, et que, 
sans sa prompte réforme, l’Université se 
trouverait exposée au péril de mourir de 
faim, on peut facilement arriver à son 
secours sans compromettre aucunement 


34 

l'existence des aspirans au sacerdoce. Que 
les recteurs des académies reccivent l’ordre 
du grand-maître de demander aux évêques 
un tableau certifié véritable par eux, de 
tous les élèves qui ne manifestent aucune 
inclination pour l’état ecclésiastique ; que 
leurs parens soient ensuite obligés de payer 
la taxe universitaire, et alors l'Université 
percevra intégralement ses droits. Jusqu’à 
présent aucure demande de cette nature 
n’a été faite ni aux évêques ni aux supé- 
rieurs des petits séminaires. On ne saurait 
donc les surprendre, même sur ce point,en 
flagrant délit; et si le gouvernement juge 
à propos d’adopter cette mesure, 1l peut 
compter, nous n'en doutons pas, sur leur 
rehgieuse exactitude à s’y conformer. 

De toutes les propositions établies dans 
le cours de cette discussion sur les jésuites 
et les petits séminaires, il résulte, 1° qu’en 
confiant aux jésuites la direction des écoles 
ecclésiastiques secondaires, les évêques ne 
sont nullement en contravention aux lois 


du royaume; 2° qu'on ne pourrait expulser 


85 


les jésurtes de ces utiles établissemens, sans 
violer la Charte, nos libertés et nos maxi- 
mes de droit public ; 3° qu'en y admettant 
des enfans qui n’aspirent point au sacer- 
doce , les évêques agissent selon l’esprit de 
l'ordonnance royale qui les autorise à éta- 
blir un petit séminaire par département, 
puisque , sans la ressource des pensions que 
les familles de ces enfans apportent aux 
petits séminaires que le roi a voulu pro- 
téger, et dont la nécessité a été reconnue, 
ces établissemens tomberaient en ruines 
dans la plupart des diocèses, faute de 
moyens de subsistance ; 4° que la chute 
des petits séminaires entraînerait celle de 
la religion catholique en France, par l’ex- 
trême pénurie de prêtres qui afiligerait tous 
les diocèses ; 5° enfin, que les abus signa- 
lés dans les peuts séminaires comme con- 
traires aux ordonnances royales, se rédui- 
sent tout au plus à une affaire d'argent pour 
l’Université, laquelle peut être facilement 
réglée par une mesure toute simple que 
le gouvernement peut mettre à exécution 


86 


quand :l le voudra, et avec le concours 
des évêques, sans compromettre aucune- 
ment l’existence des écoles ecclésiastiques 
secondaires. 

Que l’on juge maintenant, d’après cette 
discussion , jusqu'à quel point l’ignorance 
ou la haine aveugle les hommes du jour, 
dès qu'on leur signale des abus dans le 
clergé! Pour obtenir leur convicuon, 1l 
suffit d’accuser ; aussitôt, et sans examen, 
ils adoptent tout ce que la mauvaise foi in- 
vente de dénonciations et de calomnies: 
on dirait qu’une nature dépravée les en- 
traîne irrésistiblement à croire le mal, et 
le mal seulemeni, quand il s’agit des pré- 
tres catholiques. Et tandis que la licence 
de Ja presse ronge le corps social en per- 
vertissant chaque jour l'opinion publique ; 
tandis que la religion, le trône et la so- 
ciété chancellent sous les coups violens et 
redoublés des factions , certains person- 
nages élevés, qui se croient hommes d’E- 
‘tat, ne paraissent effrayés que d’une seule 
chose... Fcoutez, écoutez bien... les abus 


87 

introduits dans les petits séminaires! Ne 
serait-on pas tenté de croire qu’ils ont si- 
salé la grande plaie du royaume? Qu'elle 
soit guérie, et la France est sauvée! Qui 
ne s’extasiera, plein d’admiration, devant 
des vues politiques d’une telle étendue, 
d'une telle profondeur? ou plutôt, quel 
homme sensé ne s’indignera ou ne gémira 
en apercevant, d’une part, tant de mali- 
gnité, de mauvaise foi et de haine, et de 
l’autre tant de crédulité, d’aveuglement et 
d’extravagance au milieu de toutes les lu- 
mières dont le siècle éuincelle ? 


58 


SAR AU UE LU UV AU URL VU UV RAA UN UT 


CHAPITRE IV, 


N’existerait-il pas quelque moyen de congédier honné- 
tement les jésuites, sans violer ni la Charte, ni nos 
libertés, ni nos maximes de droit public? 


IL ne peut plus être question d’expulser 
ignominieusement les jésuites des petits 
séminaires, puisqu'ils existent en France, 
non seulement sans aucune infraction des 
lois du royaume, mais sous la protection 
de la Charte, sous l’égide de nos libertés 
publiques. Nous l’avons prouvé. 

Il ne peut non plus être question d’in- 
terdire aux évêques l'admission dans les pe- 
tits séminaires, des élèves qui n’aspirent 
point au sacerdoce , puisqu'une telle me- 
sure, en privant ces établissemens de tous 
moyens de subsistance , déterminerait in- 
failliblementleur ruine; ce quiserait pour la 


89 

religion la plus grande calamité qui puisse 
peser sur elle. Nous l’avons démontré: 

Mais certains esprits subtils et féconds 
en ressources ont imaginé un moyen de 
congédier honnêtement les jésuites, sans 
violer ni la Charte, ni nos libertés ; ni nos 
maximes de droit public; et déjà, dans 
leur cœur, ils se félicitent d’un triomphe 
prochain et assuré. Quel est ce moyen? le 
voici : ce serait de nous ramener tout dou- 
cement au paternel régime de Buona- 
parte, en plaçant les petits séminaires 
sous la juridiction de l’Université. Alors, 
pour être employés dans ces établissemens, 
les jésuites devraient accepter un diplome 
de l'Université , et consentir à l'examen de 
leurs élèves par les inspecteurs-zénéraux. 
Or, on espère que cet ordre de choses étant 
inconciliable avec leurs statuts et léurs 
usages, les jésuites prendraïent d’eux-mé- 
mes le parti de sorur des petits séminaires. 
Et alors quels cris de victoire partiraïént 
de tous les rangs dulibéralisme! Aux pieds 
de l’idole seraient enfin 1mmolées lesivieui- 


90 

mes dont ses pontifes , avides de proscrip- 
tons, ne cessent de demander le sacrifice. 

Mais aussi qu'arriverait-il si les jésuites 
acceptaient les conditions qui leur seraient 
imposées ? En leur accordant des diplomes, 
l'Université les recevrait dans son sein ; 
leurs colléges jouiraient, ainsi que les siens, 
des mêmes droits, des mêmes prérogatives. 
Alors, de quel funeste sort ne serait-elle 
pas menacée? ne deviendrait-elle pas, aux 
yeux de Ja faction, complice de jésui- 
usme? et ne signalerait-on pas avec in- 
dignation l’hôtel du grand - maître comme 
un nouveau Mont-Rouge où l’on dispo- 
serait de tous les emplois du royaume, 
où la paix et la guerre, les projets de loi 
et les traités de commerce, les affaires de 
la Grèce, d'Haïti et d'Amérique, tous les 
grands intérêts politiques de la France, de 
l’Europe et des quatre parties du monde, 
seraient soumis à l’influence du parti jésui- 
tique et réglés par ses décisions souveraines ? 
Évidemment le grand-maître de l’Univer- 
sité et le général des jésuites ne feraient plus 


—«h 


91 
qu'un, par l’inaltérable union des esprits, 
des cœurs et des intérêts. La fille aînée de 
nos rois considérerait les jésuites comme 
ses enfans, et les jésuites la respecteraient 
comme leur mère; et depuis l’Océan jus- 
qu’aux Alpes, depuis le Rhin jusqu'aux Py- 
rénées, la France se trouverait toute jé- 
suitisée. O tempora! o mores ! Mais alors 
de quels flots amers d’ironies et d’impré- 
cations l’Université ne serait-elle pas tous 
les matins cruellement abreuvée par Le 
Constitutionnel, par le Courrier, par le 
Journal du Commerce, par le Journal des 
Débats et autres feuilles libérales! Ev au 
milieu d’un tel orage , au milieu d’un dé- 
chaînement si général, quel homme sensé 
ne tremblerait pour sa chute prochaine! 
Cette explosion de haine et d’indignation 
éclaterait avec tant de violence contre elle, 
que bientôt, dégradée, perdue sans res- 
source dans l'opinion publique, elle ver- 
rait ses recteurs, ses proviseurs, Ses pro- 
fesseurs insultés comme jésuites dans les 
rues; puis ses colléges, sinon désertés, du 


92 
moins fléwris et mis en insurrection par 
la jeunesse pensante, réflechissante et 
agissante de M. Royer - Collard (1):.... 
Messieurs les libéraux, y pensez-vous, de 
proposer une mesure aussi impolitique ? 
Vous voulez tuer adroitement Îes jésuites, 
et voilà que du même coup vous allez tuer 
l'Université avec les jésuites. Réfléchissez 
avant d’agir. 

On aurait tort de regarder ceci comme 
une pure plaisantérie; car ce que les libé- 
raux demandent, ce n’est pas l’affliation 
des jésuites à l’Université, mais leur des- 
truction. Si donc par une afhiliation de ce 
genre leur société acquérait une sorte 
d'existence légale, ils exhaleraient à la fois 
leur mécontentémént contre l'Université, 
le gouvernement et les jésuites; et en vou- 
laut les calmer par une concession, on ne 
ferait que les aigrir et les irriter davantage. 


2 


(1) C’est ainsi que, dans un de ses lumineux 
discours, M. Royer-Collard a caractérisé la jeu- 
nesse française. 


93 

Il nous reste à examiner la mesure pro- 
posée, sous des rapports beaucoup plus sé- 
rieux et plus graves. 

Pour détruire sept ou huit établissemens 
d'éducation dirigés par les Jésuites, vous 
voudriez placer tous les petits séminaires 
sous la juridiction immédiate de l'Univer- 
sité. Avez-vous bien calculé toutes les 
suites d’une telle mesure ? Les petits sé- 
minaires sont considérés par les: évêques 
comme des établissemens ecclésiastiques 
qui relèvent directement de leur juridic- 
tion. On n’y enseigne pas, 1l est vrai, la 
science de la théologie, mais les aspirans 
au sacerdoce y sont réunis pour se former 
à la piété et faire des études préparatoires 
à la récepuon des saints ordres ; et l’on au- 
rait tort de prétendre que Finstrucuon 
qu'on y recoit dans les classes, parce qu’elle 
est purement littéraire, doit naturellement 
être placée sous la surveillance et la direc- 
tion de l'Université. Car c’est aux évêques 
qu'il appartient de régler et de fixer l’ins- 
truction liuéraire que doivent posséder les 


94 


jeunes ens ui se présentent pour être ad- 
mis aux ordres sacrés : c’est là un objet de 
discipline ecclésiastique placé hors des at- 
tributions du gouvernement, et par consé- 
quent de l'Université. 

D’ailleurs, cette instruction doit varier, 
selon les temps et les circonstances. Par 
exemple, à une époque où une afiligeante 
disette de prêtres se fait vivement senur, 
où des paroisses en grand nombre, privées 
des secours spirituels, réclament avec ins- 
tance des ouvriers évangéliques, il est clair 
qu'alors les premières études doivent être 
abrégées. L'intérêt de la religion com- 
mande qu’en exigeant une instruction lit- 
téraire moins forte,on hâte le moment de 
la promotion au sacerdoce. Or, telle est en 
France la douloureuse position de plu- 
sieurs diocèses. Mais il en est d’autres où 
le clergé est assez nombreux pour sub- 
venir aux besoins des paroisses, et là 1l 
convient qu’on exige des jeunes lévites une 
instruction littéraire plus étendue et plus 
forte. Or, qui doit naturellement juger des 


95 
besoins des diverses églises de France, 
pour régler ensuite la durée et la force des 
études dans les petits séminaires ? sont-ce 
les évêques ou les inspecteurs-généraux de 
l'Université ? Proposer une telle question, 
n'est-ce pas la résoudre ? 

Peut-être objectera-1-on que dans plu- 
sieurs petits séminaires, et notamment 
dans ceux dirigés par les jésuites, le nom- 
bre des aspirans au sacerdoce est inférieur 
à celui des élèves que leur vocation appelle 
aux emplois civils et militaires, et qu’ainsi 
ces établissemens étant plutôt des colléges 
que des écoles ecclésiastiques, il est dans 
l’ordre qu'ils soient placés sous la juridic- 
tion immédiate de l’Université. Si l’on 
adopte ce raisonnement, il faudra donc 
chaque année compter les élèves qui se 
destinent au sacerdoce et ceux qui ne Sy 
destinent pas. Et lorsque le nombre des 
premiers sera plus grand, l’établissement 
devra être déclaré peut séminaire. Au con- 
taire, lorsqu'il sera inférieur, l’établisse- 
ment deviendra collége de l’Université. 


96 
Ainsi, la même école pourra successivement 
se trouver placée, une année sous la juri- 
dicuüon de l’évêque diocésain, et l’année 
suivante sous celle de l’Université. Or, le 
nombre comparatif des élèves ayant des 
vocations diverses pour le sacerdoce où pour 
le monde, étant sujet à varier dans le cours 
de l’année, le changement de juridiction 
devra aussi s’opérer dans la même année. 
Et les maîtres ainsi que les élèves passe- 
raient successivement d’un régime à un 
autre pour la discipline et pour les études, 
selon que l’école deviendrait diocésaine ou 
universitaire. Ne serait-ce pas faire de 
ces écoles de véritables tours de Babel, 
où règnerait la confusion des langues en 
auendant la dispersion des peuples? Je de- 
mande si un tel projet mérite un sérieux 
examen. Puisque c'est une nécessité d’ad- 
mettre: dans les petits séminaires, pour les 
soutenir, des enfans appelés à vivre au 
milieu du monde, il faut donc que ces 
établissemens restent toujours soumis à la 
juridiction des évêques, indépendamment 


| 


97 
d’un nombre plus ou moins grand d’aspi- 
rans au sacerdoce. 

On parle encore de réduire le nombre 
des petits séminaires , puis celui des petites 
écoles ecclésiastiques établies soit chez 
les curés, soit ailleurs. Et cependant, dans 
presque tous les diocèses, une triste pé- 
nurie de prêtres afflige les villes et les 
campagnes; or, le seul moyen de combler 
les vides du sanctuaire, c’est de multiplier 
les écoles ecclésiastiques. Car, plus elles 
sont nombreuses, et plus il existe d’élèves 
pour le sacerdoce. Le voisinage de ces éta- 
blissemens inspire aux pères de famille, 
dans les campagnes surtout, la pensée de 
diriger vers cet état les inclinations de 
leurs enfans, comme il leur procure en 
même temps la facilité de leur faire faire 
des études à peu de frais. Ainsi, les petites 
écoles ecclésiastiques établies chez les cu- 
rés, fournissent des sujets aux écoles se- 
condaires; et celles-ci alimentent les sémi- 
naires, où l’on recoit les ordres sacrés; et 
si l’on supprime les petites écoles, on 

7 


(ste) 
qu'on en diminue le nombre, il est évi- 
dent que la disette d'ouvriers évangéliques 
augmentera chaque année d’une manière 
alarmante : ce qui sera un véritable fléan 
pour la religion , pour les mœurs, pour les 
familles. 

On ajoute que lorsque l'Université pos- 
sédera un collége dans une ville où se trou- 
vera un pétit séminaire , les élèves ecclé- 
siastiques seront obligés de suivre les cours 


du collége : mesure vexatoire et funeste , 


dont l’exécution doit être réputée impos- 
sible. Quels sonules évêques qui ne iremble- 
raient pas alors, et pour la vocation et pour 
la vertu des élèves du sacerdoce ! Malgré 
toutes les précautions de sûreté, n’auraient- 
ils pas lieu de redouter pour -eux les liaï- 
sons dangereuses, la communication des 
livres impies ou immoraux et d’autres sé- 
ducuons de cette nature? Et quand même 
leurs principes et leurs mœurs seraient pla- 
cés à l’abri du danger , on devrait encore 
s'alarmer sur leur vocation; car l’expé- 


rience prouve que les aspirans au sacerdoce 


L 


99 

la perdent souvent dans le commerce des 
jeunes gens qui, vivant au milieu du monde, 
portent leurs vues sur les emplois civils ou 
militaires du royaume. En changeant de 
société ils changent d’inclination, et s’éloi- 
gnent du sanctuaire. On doit donc s’at- 
tendre aux plus fortes réclamations de la 
part des évêques, si une pareille mesure 
était adoptée par le gouvernement. 

Enfin, certaines gens ne paraissent oc- 
cupés que du soin de chercher des moyens 
odieux pour contrarier les premiers pas- 
teurs des églises de France dans la direc- 
tion de leurs petits séminaires. [ls veulent 
à tout prix établir le monopole de l’ensei- 
gnement ; quoique égalemient opposé et aux 
vœux des pères de famille et à l'esprit du 
souvernement représentatif. Et pour éten- 
dre les attributions de l'Université, ils de- 
mandent que les droits de l’épiscopat soient 
blessés dans l’objet le plus important, l’é- 
ducation de la jeunesse cléricale ; comme si 
l'intérêt matéréel de l'Université était tout 
pour la monarchie, et que la reNgion dût 


106 


être comptée pour rien dans le monde po- 
litique ainsi que dans le monde moral. Au 
reste, ils connaissent bien peu les véritables 
intérêts de l’Université, ceux qui, dans la 
vue de lui donner plus de force et d'éclat, 
adopteraient des mesures dont l’inévitable 
résultat serait d’exciter contre le corps en- 
seignant la juste animadversion du clergé. 
Voici une considération que je livre à l’exa- 
men de tous ces imprudens faiseurs de pro- 
jets de réforme. 

Avant que M. l’évêque d'Hermopolis ne 
fût placé à la tête de l'instruction publique , 
il s'élevait de tous les points de la Franceune 
clameur générale contre les colléges de l’'U- 
niversité. Les pères de famille, mécontens 
de l’éducation qu'y recevaient leursenfans, 
appelaient par leurs vœux une prompte cor- 
rection des abus. Des écrivains distingués si- 
snalaient avec énergie les désordres qui ré- 
gnaient dans les maisons d'éducation ; et tous 
les ans, un grand nombre de conseils-géné- 
raux de département émettaiænt le vœu que 
Fenseignement public fût confié à des con- 


IO1 


grégations ecclésiastiques et religieuses. Le 
clergé ne pouvait pasrester étranger à ce mou- 
vement général ; et les contrariétés que les 
évêques éprouvaient souvent de la part des 
recteurs des académies, soit pour l’établis- 
sement, soit pour l'autorisation des petites 
écoles ecclésiastiques dans les campagnes, 
achevaient de rendre critique la position de 
l’Université. Car si, d’une part, l’opinion 
publique se déclarait avec violence contre 
elle, de l’autre, une lutte fâcheuse s’éta- 
blissait entre ses chefs et ceux du clergé. 
Et lorsque, dans la vue de satisfaire le vœu 
des pères de famille, les recteurs deman- 
daient des ecclésiastiques pour les placer 
dans les colléges, les évêques, qui man- 
quaient de prêtres , et que l’on contrariait 
dans l’exécution des mesures propres à en 
augmenter le nombre, préféraient donner 
des pasteurs aux églises veuves , plutôt que 
des professeurs à l’Université. De toutes 
ces circonstances réunies, il résultait que 
ce grand corps enseignant bâti de la main 


de Buonaparte, semblait miné par une ma 


103 


ladie de langueur qui annonçait sa chute 
prochaine. On ne parlait que de le réfor- 
mer ou de le détruire, de le guérir ou de 
le tuer; et les hommes les plus éclairés 
que leur intérêt engageait à le soutenir, 
disaient hautement que, pour lui donner 
de la vie, il était nécessaire d'opérer un 
rapprochement entre lui et le clergé. Leur 
vœu fut accompli. Un évêque connu par 
son caractère franc et loyal, par ses talens 
oratoires, par des succès éclatans obtenus 
auprès de la jeunesse de la capitale, dans 
des conférences sur lareligion , pleines de 
logique, de vues lumineuses, de mouve- 
mens élevés et pathétiques, atura les re- 
sards du roi, et devint chef de l'instruction 
publique; et dès ce moment, l'opposition 
contre l’Université commenca à se calmer. 
Bientôt on vit renaître la confiance géné- 
rale; et le corps enseignant, réconcilié par 
cette sage mesure avec le clergé, avec les 
pères de famille, reprit une consisiance, 
une vigueur nouvelle. 

Eh bien! voulez-vous, par des mesures 


103 


inconsidérées et vexatoires, le faire retom- 


_ 


ber dans sen ancien état de faiblesse et de 
langueur ? affligez, tourmentez les évé- 
ques dans létablissement et la direction 
des écoles ecclésiastiques ; aux dépens de 
leurs droits et de l'intérêt de leurs dio- 
cèses, étendez les attributions de l’Univer- 
sité, et vous verrez alors se renouveler cette 
lutte fâcheuse qui contribua si puissam- 
ment à la frapper d’un discrédit universel. 
Elle produirait encore le même résultat ; 
car, malgré tous les efloris d’une facuon 
impie pour avilir les ministres de la reli- 
sion dans l'opinion des peuples, le clergé 
a un principe de vie et de force qui le fera 
survivre à ses ennemis : quoique injurié , 
calomnié chaque jour avec acharnement, 
il se concilie, par sa patience, par son 
zèle , par ses services comme par ses ver- 
tus, le respect et la confiance d’une grande 
partie de Ja nation ; et parmi ceux même 
qui paraissent effrayés du ridicule fantôme 
du parti-prétre, il existe des milliers de 


pères de famille qui ne sont rassurés sur le 


104 

sort de leurs enfans, qu’autant que leurs 
études, leurs mœurs, leur santé, leur in- 
nocence se trouvent placées sous la sur- 
veillance des ecclésiastiques. Si donc vous 
opérez une rupture ouverte entre les évé- 
ques et l’Université, vous indisposerez con- 
tre elle une masse redoutable d’hommes 
sages et réfléchis ; vous la priverez des ser- 
vices qu'elle peut recevoir du clergé par 
une constante union de lumières, d’efforts 
et de dévouement; et en voulant servir ses 
intérêts, vous lui donnerez un air de ty- 
rannie qui deviendra funeste à son crédit, 
et un jour peut-être à son existence. 

Et pourquoi donc tous ces vains projets 
de réforme d’abus qui n'existent pas, et 
dont l’exécution entraïnerait après soi des. 
suites si désastreuses ? c’est pour détruire 
sept ou huit petits séminaires dirigés par 
des jésuites. Dans ce petit nombre d’éta- 
blissemens, il y a seulement deux mille. 
cinq cents élèves environ, dont plus de la 
moitié dirige ses vues vers le sanctuaire. 
Et l’on dirait que l’existence de FUni- 


105 


versité est cruellement menacée, tant les 
plaintes sont vives et amères! et l’on ne 
fait pas attention que, là où les jésuites en- 
seignent, il s'établit dans les colléges de 
l’Université une noble émulation de ba- 
lancer leur crédit dans l’opinion, par la 
surveillance des mœurs, par l'exactitude 
de la discipline, et par la force des étu- 
des : émulation utile, qui tourne au profit 
des lettres, comme au bien de la religion 
et des familles; émulation enfin qui est la 
véritable cause de l’état de prospérité dont 
jouissent plusieurs de ces colléges. Et si un 
funeste relâchement venait à s’y intro- 
duire, bientôt ils tomberaient devant ceux 
des jésuites. À peine trouverait-on des pè- 
res de famille qui voulussent accepter pour 
leurs enfans le bienfait des bourses royales. 
Ils aimeraient mieux se condamner à de 
pénibles sacrifices, que d'exposer leur in- 
nocence et leur avemir à un triste nau- 
frage. 

Ce précieux avantage avait été aperçu 
et sagement apprécié par le cardinal de 


ro6 


Richelieu, qui, dans son testament poli- 
tique (1'° partie, chap. 2), fait observer 


« 


que l'intérêt public ne pouvait souffrir 
que la société des jésuites, non seulement 
recommandable par sa doctrine, mais 
célèbre encore par sa piété, fût privée 
d’une fonction dont elle pouvait s’acquit- 
ter avec grande utilité pour l'Etat...…., et 
que puisque la faiblesse humaine exi- 
geait un contre-poids en toutes choses, 
il convenait que l’Université et les jé- 
suites enseignassent à l’envi, afin que 
l’émulation excitât leurs vertus, et que 
les sciences fussent d’autant plus assu- 
rées dans l’Ftat, que si les uns venaient 
à perdre un si sacré dépôt, il se trouvât 
chez les autres. » 


Mais qu'importe aux factieux l'intérêt 


de la science et des mœurs? ‘ce n’est point 
celni-là qu'ils cherchent. Ils veulent des 
bouleversemens dans la société; et pour- 
quoi? pour arriver à la fortune, s'ils vivent 
dans lindigence ou dans la médiocrité; 
et aux honneurs, s’ils sont riches ei opu- 


107 
lens. Voilà toute leur politique; c’est l’é- 
goisme absolu, avec le hideux cortége de 
tous les vices. Guerre à Dieu! guerre aux 
rois! guerre à l’ordre établi, quel qu'il soit! 
Voilà leur cri de ralliement. 

Qu'importe donc aux factieux que, 
dans les colléges des jésuites, les études 
fleurissent, et que les mœurs y soient sur- 
veillées jour et nuit avec un infatigable 
dévouement ! Que leur importe qu'un or- 
dre parfaï, une soumission jamais inter- 
rompue par des insurrections bruyantes, 
un amour tendre et réciproque entre les 
maîtres el les élèves, une piété ingénue 
sans oslentation et sans contrainte, une 
gaieté franche et naive, symbole du calme 
de la conscience et de l’union des cœurs, 
que tout enfin y présente le plus ravissant 
spectacle aux âmes vertueuses, et aux pères 
de famille les plus douces espérances pour 
leur avenir, comme pour celui de leurs en- 
fans! Sont-ils touchés du bonheur de la jeu- 
nesse et de l'intérêt des familles? Non : ce 
w’est point là ce qu'ils cherchent, mais plu- 
tôt ce qu'ils redoutent. Ils tremblent que les 


108 


asiles de la vertu ne se multiplient sur le 
sol de la patrie. Déjà, par la pensée, ils en 
voient avec effroi sortir en foule des milliers 
de chrétiens fidèles à Dieu, des milliers de 
sujets dévoués au Roi, soumis à l’autorité, 
amis de l’ordre, de la justice et de la paix. 
Or, telle n’est point la jeunesse qui con- 
vient aux projets du parti dont ils arborent 
les bannières. I] lui faut une jeunesse fière, 
présomptueuse et impie, ivre de liberté et 
d'indépendance, prête à secouer au pre- 
mier signal le joug de la royauté, à se 
signaler par son audace comme par son dé- 
vouement dans les émeutes populaires , à 
prostituer enfin au fourbe et sanglant gé- 
nie des révolutions, tout ce qu’elle a de 
forces physiques et morales, son honneur 
même, et la vie. C’est sur cette jeunesse de 
mœurs sauvages et atroces que ce génie 
turbulent fonde ses plus chères espérances. 
Tous les jours il la façonne à son joug 
pour arriver à son but. Est-il &onc éton- 
nant qu’il porte une haine implacable aux 
vertueux instituteurs qui en préparent une 
autre à la France? 


109 


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CHAPITRE V. 


De la folie de certains royalistes qui font cause com- 
mune avec les ennemis des jésuites. 


Que les artisans de troubles et de révo- 
lutions réclament avec une infatigable per- 
sévérance la persécution des jésuites ; que, 
pour amener sa chute en soulevant l’opi- 
nion publique, ils dirigent sans relâche 
contre elle les traits acérés de l’ironie, du 
sarcasme et de la calomnie; que ces enne- 
mis des rois, occupés à démolir le trône 
des Bourbons, appellent, avec une hypo- 
crite indignation, les jésuites regicides; 
que ces cyniques sans pudeur qui désolent 
la France par un déluge de livres immo- 
raux osent les dénoncer aux pères de fa- 
mille comme les corrupteurs de la morale, 
comme les séducteurs de la jeunesse, il n'y 
a rien là qui doive surprendre. Ce sont des 


110 


factieux qui font leur métier; ils calom- 
nient pour avilir, et ils avilissent pour dé- 
truire. Mais que des hommes imbus de 
principes religieux , que des royalistes prêts 
à verser leur sang pour le Roi, trompés par 
ces déclamations libérales, partagent l'a- 
version des factieux pour les jésuites, c’est 
un excès de crédulité qui étonne et cons- 
terne. Ün tel aveuglement uent de la stu- 
pidité. On dirait que le Maître des empires, 
irrité contre un peuple que ni ses châtui- 
mens ni ses bienfaits n’ont pu corriger, 
laisse tomber du ciel un épais bandeau sur 
les yeux des défenseurs nés de la couronne. 
On serait tenté de croire qu'il livre encore 
une fois la terre à un esprit de veruge, 
afin qu’elle soit punie par elle-même de 
ses propres excès. 

Eh quoi! royalistes fidèles, maïs abusés, 
vous vous piquez d’avoir de l'esprit, de la 
sagacité, une pénétration plus qu’ordi- 
naire dans les affaires. Vous prétendez con- 
naître les mœurs et les hommes de votre 
siècle; vous prononcez hardiment sur les 


I FE 


plus hautes questions de la politique , peut- 
être même vous croyez-vous des hommes 
d'Etat capables de sauver la France des 
maux qui la menacent; et sur la question 
des jésuites, si facile et si claire, vous 
ajoutez foi aux déclamauons des plus for- 
cenés libéraux! Au lieu de considérer 
comme de fermes appuis du trône ceux 
que des factieux poursuivent de leur haine 
et honorent par leurs injures, vous doutez 
presque de la sincérité de leur dévouement 
aux Bourbons; peut-être même décidez- 
vous, sans hésiter, que ce sont des hommes 
dangereux dans une monarchie, alors même 
que les ennemis déclarés des rois et des mo- 
narchies voudraient les exterminer tous, et 
ne pas laisser une seule trace de leur pas- 
sage sur la terre. Mais s'ils étaient tels 
qu'on les dépeint, ambiueux, régicides, 
séducteurs de la jeunesse , fauteurs de dé- 
sordres et de révolutions , ils auraient pour 
amis leurs ennemis les plus acharnés. N’est- 
ce pas à des hommes de ce caractère que 
les chefs du libéralisme prodiguent cha- 


112 


que jour l’encens de la louange? ne sont-ce 
pas eux qu’ils vantent sans pudeur, et qu'ils 
voudraient élever au pouvoir pour abattre 
ensuite par leurs mains la monarchie de 
saint Louis? 

Défiez-vous de tous ces hommes de parti 
qui déchirent à coups de stylet le sein de 
la patrie, pour s’enrichir plus tard de ses 
sanglantes dépouilles. Ne voyez-vous donc 
pas qu'ils ne demandent avec tant d’ins- 
tance l’expulsion des jésuites que pour af- 
faiblir vos rangs, en privant la jeunesse 
d’une éducation fortement religieuse et mo- 
narchique? Ne voyez-vous pas qu'après 
avoir obtenu cette première victoire , de- 
venus plus nombreux et plus forts, ils se 
croiront assurés de vous opprimer un jour 
vous-mêmes ? car c’est à vos titres de no- 
blesse, c'est à vos propriétés , c’est à vos 
places, à votre influence, à votre vie même, 
qu’ils en veulent. Que ne pouvez-vous as- 
sister à leurs conciliabules secrets! que ne 
vous est-il possible de pénétrer dans ces 
antres du crime où les chefs de la facuon 


113 


parlent librement de leurs sinistres com- 
plots et de leurs moyens d’exécution! Là 
il n’est plus question ni de maintenir la 
Charte ni d’affermir nos institutions, et 
bien moins encore de donner au trône de 
nouveaux appuis ; 1l s'agit de renverser tout 
ce qui existe, par les moyens les plus vio- 
lens; il s’agit d’envelopper dans une pros- 
cripuon de sang, et les rois et les nobles, 
et les prêtres et tous les fidèles serviteurs 
du trône et de la patrie. Voilà leurs pro- 
jets, voilà leurs espérances! A de tels dis- 
cours , de quels sentimens ne seriez-vous pas 
agités? Ah! sans doute, votre cœur serait 
oppressé d’une inexprimable douleur, et 
votre langue resterait muette d’effroi ; mais 
bientôt, à la terreur dont vous seriez saisis, 
se Joindraient l’humiliauion et le dépit, car 
vous verriez ces mêmes hommes dont vous 
paraissez ignorer les desseins, se moquer, 
avec un sourire féroce, de votre stupide 
crédulité, s'applaudir de leur iniluence sur 
vos opinions politiques, et signaler votre 
aversion , soit pour les jésuites, soit pour le 
5 


114 
clergé, comme un triomphe éclatant sur 14 
cause des rois. 

Hommes imprévoyans! les souvenirs de 
la révolution sont donc effacés de vos es- 
prits; vous avez donc oublié qu'après avoir 
frappé les jésuites d’abord, puis les autres 
ordres religieux, puis ensuite le clergé sé- 
culier, les chefs de la révolution abolirent 
la noblesse comme un abus, en attendant 
que la royauté elle - même fût proscrite 
comme une tyrannie insupportable aux na- 
üons. L'histoire de nos malheurs est ou- 
verte sous vos yeux; rapprochez le passé 
du présent, et lisez dans l’avenir. 

Alors on disait en termes barbares qu'il 
fallait décatholiciser la France pour la de- 
monarchiser , comme aujourd’hui on dit, 
en d’autres termes, qu’il faut la rendre pro- 
testante pour la rendre républicaine; et 
pour enlever au trône l’appui de la religion 
catholique dont le clergé, par ses principes, 
ainsi que par ses sentimens, restera touJours 
dévoué aux Bourbons, on décriait, comme 


aujourd’hui, les évêques et les prêtres, en 


11 


les accusant d’intolérance, de fanatisme et 
de superstition.On leur reprochaitencorede 
vivre dans l’opulence, aux dépens des clas- 
ses laborieuses de la société. Et maintenant 
qu'on ne peut plus envier leur fortune, on 
s'efforce de leur enlever jusqu’à leur hon- 
neur, jusqu'à leur ancienne réputation de 
régularité et de vertus; et ceux qui, con- 
servant encore quelque reste de pudeur, se 
voient forcés par l’évidence des faits de les 
épargner sous ce rapport, les accusent d’oc- 
cuper toutes les avenues du trône, et de 
vouloir tout envahir dans la société. C’est 
toujours le même système de diffamation 
et de calomnies; faut-il donc un si grand ef 
fort d'esprit pour s’apercevoir qu'on veut 
arriver au même but, puisqu'on emploie 
les mêmes instrumens de destruction? Ft 
n'est-il pas manifeste qu’en déclamant avec 
les libéraux contre les jésuites et le clergé, 
vous mettez dans les mains de vos ennemis 
des armes qu'ils tourneront plustard contre 
vous-mêmes ? Vous êtes dupes, vous serez 


victimes. 


116 


AAA LV ARR A A RAA A RAR ALU RAA ARR UV RAA AR AS AURA EEE 


CHAPITRE VL. 


De la bonhomie d’autres royalistes qui opinent pour Îa 
suppression des jésuites, afin de calmer les esprits par 
une concession au parti libéral. 


D'AUTRES royalistes ne se font pas illu- 
sion sur les projets des factuieux. Ils veulent 
bien croire que les Jésuites sont innocens 
des crimes qu’on leur impute; ils ivont 

A À LA: = 2 40 
même jusqu'à faire l’aveu que leur société 
rend des services importans à l’éduca- 
tion de la jeunesse; que le parti-prêtre n’est 

L] L . _ A . , VF 
qu'un ridicule fantôme inventé pour ins- 
pirer de l’effroi aux hommes simples et cré- 
dules; et que la congrégation n’exerce point 
cette redoutable influence qu'on Jui prête 
dans la distribution des emplois du royaume. 
Mais il ya, disent-ils, un si violent déchaï- 
nement contre les jésuites, qu'il faut les 


117 

sacrifier dans l'intérêt public. C’est, ajou- 
tent-1ls avec une bonhomie rare, une con- 
cession que l’on doit faire au parti libéral, 
pour la sûreté du Roi et de la monarchie. 
Il ieur semble qu’alors les chefs de la fac- 
tion n'auraient plus de plaintes à former 
contre le gouvernement du Roi; que les 
journalistes deviendraient doux comme 
des agneaux; et qu'enfin n'ayant plus au 
milieu de nous des élémens de discorde, 
nous jouirions d’une paix douce et profonde, 
et serions en quelque sorte ramenés à l’âge 
d’or. | 

En vérité, il fant bien peu connaître 
l'esprit des factieux pour se laisser séduire 
par de telles illusions. Est - il donc croyable 
qu'après avoir obtenu le sacrifice des jé- 
suites, les hommes à révolutions, qui mé- 
ditent la chute du trône, seront pleinement 
satisfaits? Etpensez vous qu'il ne leur res- 
tera plus aucune ressource pour: Jeter: le 
trouble dans la société? C’estavec des mots 
dont on abnse, que lon sème chez un 


peuple l'inquiétude et le mécontentement: 


118 


C'est avec un moyen si faible en apparence, 
mais habilement employé , que l’on soulève 
avec violence les passions de la multitude, 
pour opérer ensuite les affreux déchiremens 
des guerres civiles. N'est-ce pas, en effet, 
avec les mots magiques de liberte ei d’e- 
galité, d'humanité et de fraternité, de fa- 
natisme et de superstition, de tyrannie et 
de despotisme, d’aristocratie et de démo- 
cratie, que l’on a fait et consommé la ré- 
volution de 93? Aujourd’hui, pour la re- 
commencer, on emploie le mot esuite 
comme un cri de ralliement, non seule- 
ment contre les jésuites proprement dits, 
mais contre le clergé catholique tout en- 
ter, mais contre les royalistes eux - mêmes, 
déjà désignés par le parti sous le nom de 
jesuites à robe courte. Dans la langue 
des factieux, jésuite veut dire maintenant 
ce que signifiait autrefois le mot aristocrate. 
Fi l’on se persuaderait que cette expression 
étant usée par la suppression de la société 
de saint Ionace, il n’en existerait plus dans 
le dictionnaire dont les libéraux pussent 


119 

faire usage pour enflammer les passions po- 
pulaires! En voici un tout trouvé, et déjà 
mis à la mode, c’est celui de purti-prétre. 
Et lorsqu'on ne pourrait plus vous dire 
vous êtes jésuite, on vous dirait : vous étes 
du parti-prétre. Faudrait-il encore pros- 
crire en masse le clergé de France, pour 
mettre fin aux inquiétudes du moment ? 
Oui, sans doute; car si l’on suivait le fu- 
neste système des concessions, l’impiété ne 
cesserait de crier contre ce terrible parti- 
prêtre, jusqu’à ce que les sanctuaires fussent 
profanés encore une fois, les temples fer- 
més ou devenus la proie des flammes, et 
les séminaires convertis en prisons où en 
casernes. 

Ainsi, anrès avoir obtenu le sacrifice 
des jésuites, les libéraux aux trois couleurs 
demanderont avec la même insolence l’ex- 
tinction des missionnaires, l’abolition des 
confréries, puis la destruction de toutes les 
communautés religieuses et de tous les sé- 
minaires, puis la chute de l’épiscopat et 
du clergé catholique, puis encore l’établis- 


120 


sement du protestantisme comme religion 
nationale, puis enfin... l’immolation des 
rois et Ja ruine de la France. Vrais Éros- 
trates de l’ordre social, ils veulent, par tous 
les moyens, produire des désastres, des 
incendies, afin de s'enrichir ensuite par le 
pillage, au milieu du désordre et de la con- 
fusion de la société. Voilà le terme de la 
carrière où ils marchent à pas de géant; 
et tant qu'ils n’y seront pas arrivés, ils ne 
cesseront de demander au gouvernement 
de nouvelles concessions. Or, plus on aura 
la faiblesse de leur en accorder, et plus ils 
en exigeront avec fierté, avec menaces. Et 
quand , par suite d’un déplorable système 
de pusillanimité et de peur, la religion et 
la monarchie se trouveront privés de leurs 
plus forts appuis, que restera-t-il à faire..., 
sinon à donner un coup de marteau pour 
faire tomber le trône avec ses rois, et l’au- 
tel sur ses pontifes ? Et alors recommence- 
ront avec une fureur inouie les proscrip- 
tions, les massacres, les guerres civiles, 
les hideuses et sanglantes saturnales de la 


121 


révolution ; alors sera encore une fois con- 
sommée, sous le glaive des bourreaux ét à 
la lueur des incendies, la dissolution totale 
de la société ; et quand le règne affreux 
des passions armées contre le Ciel et contre 
les rois sera fini, les tombeaux des martyrs 
de la religion et dé la royauté s’éleveront 
au milieu de la France, comme des mo- 
numens de la stupide frayeur des déposi- 
taires du pouvoir, en présence des fac- 
uons. 

Plus éclairés, plus sages que nous; nos 
neveux, après avoir pleuré sur notre froide 
poussière, détesteront à jamais nos erreurs. 
A l’école de nos longues infortunés, ils au- 
ront appris que le système des contes- 
sions faites à des séditieux, conduit à la 
mort les gouvernemens et les Etais; et 
devenus profondément chrétiens en con- 
templant avec effroi les ravages de l'im- 
piété, ils respecteront ces barrières sa- 
crées de la squmission et du devoir, que la 
religion élève pour la sûreté des empires 


entre les rois et les peuples, entre une 


122 


sage liberté et les passions furieuses de la 
mulutude. 

France! …. France!..... ferme l'oreille 
aux discours insidieux des hommes violens 
qui t’égarent; repousse avec horreur Ja 
coupe amère de l’impiété; crains de t’a- 
breuver de ce vin enivrant d’une liberté 
sans frein, d’une indépendance absolue qui 
dissout les sociétés et tue les empires, ou 
bien résigne-toi à gémir, à hurler de dou- 
leur dans les convulsions de l’anarchie ! 
Oui, nation éclairée, mais coupable, si 
tu ne profites de la terrible expérience 
du passé, tu courberas encore une fois ta 
tête altière sous la hache des fils de Brutus. 
Crois-tu qu’elle sera plus douce que Île 
sceptre paternel de tes rois? 


129 


APPENDICE. 


Le but de l'écrit que nous publions 
n'étant pas de faire l’apologie des jésuites, 
nous n’avons point examiné les différens 
chefs d’accusation dont leur société est 
l'objet. Ils sont au reste assez éloquemment 
réfutés par la vie pure et évangélique 
dont ils offrent au monde le touchant spec- 
tacle, comme par l’incontestable utilité 
des soins qu’ils donnent à la jeunesse. C’est 
par des faits qu'ils répondent aux calom- 
nies. Leurs vertus et leurs services, telle 
est l'unique apologie que ces hommes res- 
pectables opposent à la haine qui dif- 
fame, à la violence qui outrage. Et il faut 
qu'elle porte une vive lumière dans les 
esprits, puisque nous les voyons rappe- 
lés avec honneur et comblés de témoi- 


gnages d’estime et de confiance, dans un 


124 


grand nombre d'Etats d’où ils furent autre- 
fois expulsés avec dureté, avec ignominie. 
Non seulement ils existent à Rome, à 
Naples, en Piémont, en Espagne, en 
Angleterre, dans les Etats-Unis, etc.; 
mais l'Autriche elle-même, dont la poli- 
tique est si grave, si prudente et si éclai- 
rée, vient d'autoriser, en Gallicie, Fé- 
tablissement de quatre colléges de jésui- 
tes. S'ils étaient tels qu'on les dépeint 
tous les jours dans les feuilles du libéra- 
lisme , tels qu'on les a représentés au mo- 
ment de la dissolution de leur société, 
d'où vient que les cours de l’Europe, après 
les avoir proscrits, les accueillent avec tant 
d’empresseiment et de disunction? Il est 
évident que leur innocence est reconnue. 
Et rien ne la prouve mieux selon nous que 
l'implacable haine que leur portent dans 
toutes les contrées de l’univers les plus 
furieux ennemis de la religion , des trônes 
et de l’ordre social. Voilà des faits qui 
parlent plus haut pour leur pleine justifi- 
cauon, que toutes les clameurs des libé- 


125 


raux pour les diffamer. Et quand on s’ap- 
plique à ürer les conséquences qui en 
découlent naturellement, on peut se dis- 
penser de revoir une à une les accusations 
dirigées contre eux. 

Cependant, pour satisfaire la curiosité 
des personnes qui désirent parcourir les 
pièces du grand procès intenté aux jésui- 
tes, on publie des Recueils de documens 
historiques sur leur célèbre société. Non 
seulement on y trouve de quoi la justifier 
des reproches que lesprit d'irréligion et 
l'injustice humaine ont ertassés sur elle, 
mais de quoi prouver qu'aucune corpora- 
on religieuse ne l’a jamais égalée en mé- 
rites de toute espèce et en utilité. Ce que 
nous allons citer suflira pour en faire foi. 


Réponse de Henri LF aux remontrances pronon- 
cées par le premier président de Harlay , en 1603, 
au sujet du rétablissement des Jésuites. 


J'ai toutes vos conceptions en la mienne; mais 
vous n’avez pas la mienneen la vôtre. Vous m'avez 
proposé des difficultés qui vous semblent grandes 


126 


et considérables, et n'avez cette considération que 
tout ce qu’avez dit a été pesé par moi il y a huit 
ou neuf ans. Vous faites les entendus en matière 
d’État, et vous n’y entendez non plus que moi à 
rapporter un procès. 

Je veux donc que vous sachiez , touchant Poissy , 
que si tous eussiez aussi bien fait qu'un ou deux 
jésuites qui s’y trouvèrent à propos, les choses y 
fussent mieux allées pour les catholiques. On re- 
connut dès lors non leur ambition, mais bien leur 
suffisance ; et m'étonne sur quoi vous fondez l’o- 
pinion d’ambition en des personnes qui refusent 
les dignités et prélatures quand elles leur sont of- 
fertes, et qui font vœu à Dieu de n’y aspirer ja- 
mais, et qui ne prétendent autre chose en ce monde 
que de servir sans récompense tous ceux qui veulent 
tirer service d’eux. Que si ce mot de jésuite vous 
déplaît, pourquoi ne reprenez-vous ceux qui se di- 
sent religieux de la Trinité ; et i vous estimez être 
aussi bien de la compagnie de Jésus qu'eux , pour- 
quoi ne dites-vous que vos filles sont aussi bien re- 
ligieuses que les Filles-Dieu à Paris, et que vous 
êtes autant de l’ordre du Saint-Esprit que mes che- 
valiers et que moi? J'aimerais autant et mieux être 
appelé jésuile , que jacobin et augusun. 

La Sorbonne, dont vous parlez, les a condam- 
nés ; mais ça été, comme vous, devant que de les 


connaître ; et si l’ancienne Sorbonne n’a pas voulu, 


157 


par jalousie, les reconnaître, la nouvelle y fait ses 
études , et s’en loue. S’ils n’ont été en France jus- 
qu’à présent , Dieu me réserve cette gloire, que je 
tiens à grâce, de les y établir; et s'ils n’y étaient 
que par provision, ils y seront désormais par édit 
et par arrêt. La volonté de mes prédécesseurs les 
y retenait, ma volonté est de les y étabiir. 

L'Université les a contrepointés ; mais ça été ou 
parce qu’ils faisaient mieux que les autres , témoin 
l’affluence des écoliers qu’ils avaient en leurs col- 
léges, ou pour ce qu’ils n'étaient incorporés en 
l’Université, dont ils ne feront maintenant refus, 
quand je leur commanderai, et quand, pour les 
remettre, vous serez contraints de me les de- 
mander. 

Vous dites qu’en votre parlement , les plus doctes 
n'ont rien appris chez eux. Si les plus vieux sont 
les plus doctes, il est vrai; car ils avaient étudie 
devant que les jésuites fussent connus en France ; 
mais j'ai oui dire que les autres parlemens ne par- 
lent pas ainsi, ni même tout le vôtre; et si on n’y 
apprend mieux qu'ailleurs, d’où vient que, par leur 
absence, votre université est rendi'e toute ‘déserte , 
et qu’on Va les chercher , nonobstant tous vos ar- 
rêts, à Douay et hors de mon royaume ? 

De les appeler compagnie des factieux , parce 
qu'ils ont éte de la ligue, ça été injure du temps. 
Is croyaient y bien faire, comme plusieurs autres 


126 


qui s'étaient mêlés dans les affaires de ce temps-là : 
mais ils ont été trompés et déçus avec eux, et ont 
reconnu tout le contraire de ce qu'ils avaient cru 
de mon intention ; mais je veux croire que ça été 
avec moins de malice que les autres, et tiens que la 
même conscience, jointe aux grâces que je leur 
ferai, me les aflectionnera autant et plus qu’à la 
ligue. 

Ils attirent, dites-vous, les enfans qui ont de 
l'esprit, voient et choisissent les meilleurs; et c’est 
de quoi je les estime. Ne faisons-nous pas choix des 
meilleurs soldats pour aller à la guerre? Et si les 
faveurs n'avaient place, comme envers vous, en 
recevriez-vous qui ne fussent dignes de votre com- 
pagnie et de seoir au parlement? S'ils vous four- 
nissaient des précepteurs ou des prédicateurs igno- 
rans, vous les mépriseriez ; ils ont de beaux esprits , 
vous les en reprenez. Quant aux biens que vous 
dites qu'ils avaient, c'est une calomnie et une im- 
posture , et sais très -bien que par la réunion faite 
à mon domaine , on n’a su entretenir à Bourges et 
à Lyon que sept où huit régens, au lieu qu'ils v 
étaient au nombre de trente à quarante; et quand 
il y aurait de l’inconvénient de ce côté”, par mon 
édit j'y ai pourvu. 

Le vœu d’obéissance qu’ils font au pape ne les 
obligera pas davantage à suivre son vouloir, que le 
serment de fidélité qu’ils me firent à n’entreprendre 


7 


120 

rien contre le prince naturel; mais ce vœu n’est 
pas pour toutes choses , ils ne le font que d'obér 
au pape quand il voudra les envoyer à la conversion 
des infidèles ; et de fait, c’est par eux que Dieu a 
converti les Indes; et c’est ce que je dis souvent : 
Si l'espagnol s’en est servi, pourquoi ne s’en servira 
la France? Notre condition est-elle pire que les 
autres? L'Espagne est-elle plus aimablé que la 


. France? Si elle l’est aux siens , pourquoi ne le sera 


pas la France aux miens ? 

Ils entrent comme ils peuvent ; aussi font bien 
les autres, et suis moi-même entré comme j’ai pu 
en mon royaume; mais il faut ajouter que leur 
patience est grande, et que moi je l’admire : car 
avec patience et bonne vie ils viennent à bout de 
toutes choses; et si ne les estime pas moins en ce 
que vous dites qu'ils sont grands observateurs de 
leurs vœux ; c'est ce qui les maintiendra. Aussi n ai- 
je voulu en rien changer leur règle, ains les y 
maintenir : que si je leur ai limité quelques condi- 
ons qui ne plairont pas aux étrangers, il vaut 
inieux que les étrangers prennent la loi de nous , 
que si nous la prenions d'eux. Quoi qu'il en soit, 
je suis d’accord avec mes sujets. Pour les eeclésias 
tiques qui se formalisent d'eux, c'est de tout temps 
que l'ignorance en a voulu à la science; et j'at re- 
counu que, quand je parlais de les rétablir , deux 


sortes de personnes Sy opposent parueuliere 


9 


130 


ment, ceux de la religion (réformée), et les ecclé- 
siastiques mal vivans ; c’est ce qui me les fait esti- 
mer davantage. 

Touchant l’opinion qu'ils ont du pape, je sais 
qu'ils le respectent fort; aussi fais-je moi. Mais 
vous ne dites pas qu'il a voulu saisir à Rome les 
livres de M. Bellarmin, parce qu'il n’a pas voulu 
donner autant de juridiction au Saint-Père, que 
font communément les autres. Vous ne dites pas 
aussi que , ces jours passés, les jésuites ont soutenu 
que le pape ne pouvait errer, mais que Clément 
pouvait faillir. En tout cas, je m’assure qu'ils ne di- 
sent rien davantage que les autres de l'autorité du 
pape, et crois que quand on en voudrait faire le 
procès aux opinions, il le faudrait faire à celles de 
l'Eglise catholique. Quant à la doctrine d'émanciper 
les ecclésiastiques de mon obéissance, ou d’ensei- 
gner à tuer les rois, il faut voir d’une part ce qu'ils 
disent, et informer, s’il est vrai qu'ils le montrent 
à la jeunesse. Une chose me fait croire qu’il n’en est 
rien ; €’est que, depuis trente ans en ça qu’ils ensei- 
gnent la jeunesse en France, plus de cinquante 
mille de toutes sortes de conditions sont sortis de 
leurs collèges, ont conversé et vécu avec eux, et 
que l’on n’en trouve un seul de ce grand nombre 
qui soutienne de leur avoir oui tenir un tel langage, 
ni autre approchant de ce qu’on leur reproche. 
De plus, il y a des ministres qui ont étudié sous 


131 


cûx; qu'on s’informe d’eux de leur vie : il ést à 
présumer qu’ils en diront le pis qu'ils pourront, 
ne fût-ce que pour s’excuser d’être sortis d’avec 
eux. Je sais qu’on l’a fait, et n’a-t-on rien tiré autre 
raison, sinon que, pour leurs mœurs, il n’y a rien 
à dire. 

Quant à Barrière, tant s’en faut qu’un jésuite 
l'ait confessé , comme vous dites , que je fus averti 
par un jésuite de son entreprise; et un autre lui dit 
qu'il serait damné s’il osait l’entreprendre. Quant à 
Châtel, les tourmens ne purent lui arracher aucune 
accusation à l'encontre de Varade ou autre jésuite ; 
et si autrement était, pourquoi l’auriez-vous épar- 
gné? Car celui qui fut arrêté, fut arrêté pour un 
autre sujet, que l’on dit s’être trouvé dans ses écrits; 
et quand ainsi serait, qu’un jésuite aurait fait ce 
coup, faut-il que tous les apôtres pâtissent pour un 
Judas, ou que je réponde de tous les larcins, et de 
toutes les fautes qu'ont faites et feront à l’avenir 
ceux qui auront été de mes soldats? Dieu m'a voulu 
alors humilier et sauver , et je lui en rends grâce ; 
il m’enseigne de pardonner les offenses, et l’ai fait 
pour son amour volontiers : tous les jours je prie 
Dieu pour mes ennemis, tant s’en faut que je m'en 
veuille souvenir, comme vous me conviez à faire 
peu chrétiennement, dont je ne vous sais point 


» 


gre. 


1392 


Avis du Dauphin, père de Louis XFI, au con- 
seil d'État de Louis XF. 


L’aflaire que nous traitons est bien avancée... 
j'en conviens ; mais noüs voyons aussi dans quel 
sens, et par quelles étranges manœuvres. Elle est 
bien avance! et ce doit être là le grand sujet de 
notre étonnement, que, dans une affaire d’État, la 


magistrature se soit arrogé l'initiative sur le chef 


suprême de l'État, et qu'elle ait porté l’oubli de ses 
devoirs jusqu'à procéder au mépris même des 
ordres du roi. Ce bien de la paix , cette tranquillité 
publique dont on nous parle, et que je crois dé- 
sirer autant que personne, ils sont dans le respect 
pour la justice, et ne sont que là. Non, ce ne sera 
pas dans ce conseil, je l’espère, que la passion des 
oppresseurs deviendra le crime des opprimés. Je 
déclare en conséquence que, n1 en honneur, ni en 
conscience, je ne puis opiner pour l'extinction de 
cette société d'hommes précieux, aussi utile au main- 
tien de la religion parmi nous, que nécessaire à 


l'éducation de la jeunesse. 


Témoignage de Ferdinand TI, empereur 
d Autriche. 


Nous recommandons avant tout et sérieusement 
à nos enfans, la société de Jésus, et ses Pères, non 
seulement par attachement pour elle, mais surtout 


r 


133 


encore à cause de sa doctrine, des soins qu’elle prend 
de l’éducation de la jeunesse, de la vie exemplaire 
de ses membres, qui édifient l'Eglise catholique, tant 
dans nos provinces d'Autriche et autres terres de no- 
tre domination , que dans tout le monde chrétien. 
où les jésuites travaillent utilement, fidèlement et 
plus que les autres à conserver et à propager la 
religion catholique ; et comme le monde ingrat et 
pervers les hait et les persécute par-dessus tout, 
ils ont besoin d’une plus grande protection et as- 
sistance , et ils en sont dignes. Nous espérons que 
nos héritiers et successeurs la leur accorderont 
sincèrement. C’est notre dernière intention et vo- 
lonté. 


Témoignage du grand Frédéric. 


Pour moi, j'aurais tort de me plaindre de Gan- 
ganelli; il me laisse mes chers jésuites que l'on 
persecute partout. J'en conserverai la précieuse 
graine pour en fournir à ceux qui voudraient cul- 
tiver chez eux une plante si rare. 


Extrait de l'avis des prélats de France consultés 
par Louis XF sur l'affaire des jésuites. 


L'institut des jésuites avant pour objet l'edu- 
cation de la jeunesse, le travail du ministère de la 


134 
confession, la prédication , l’instruction chrétienne, 
l'exercice gratuit de toutes sortes d'œuvres de cha- 
rité envers le prochain, la propagation de la foi, 
et la conversion des infidèles, il est évidemment 
consacré au bien de la religion et à l’utilité des. 
États. 

C'est ce qui engagea le pape PaullIT à l’approu- 
ver par la bulle Regimini, en 1540. Les papes ses 
successeurs ayant reconnu , par une longue expé- 
rience, les grands avantages qui revenaient à la 
religion de cet institut, lui donnèrent les marques 
les plus distinguées de leur bienveillance et de leur 
protection. 

Les Pres du concile de Trente l’appellent un 
institut pieux , et dispensent , par un privilége sin- 
gulier , les religieux de cette société de la loi gé- 
nérale qu'ils avaient faite pour l’émission des vœux 
par rapport aux autres ordres. 

Saint Charles Borromée, ce grand zélateur de la 
foi, de la réformation des mœurs et de la disci- 
pline , fit connaître aux Pères du concile de Trente 
l'estime qu'il avait pour cet institut, et la bien- 
veillance particulière que les fruits du zèle des re- 
ligieux de la compagnie de Jésus inspiraient pour 
eux au souverain pontife. 

Les ambassadeurs des princes qui étaient pré- 
sens au concile, pensaient de même, lorsqu'ils pro- 
posaient l’établissement de plusieurs de leurs col- 


135 
léges en Allemagne, comme le moyen le plus 
efficace pour y rétablir la foi et les bonnes mœurs. 

Cependant, sire, la nouveauté et la singularité 
de cet institut, l’étendue des priviléges qui lui 
étaient accordés par les bulles des papes , la géné- 
ralité de son objet, qui le mettait en concurrence 
avec les corps déjà établis, lui suscitèrent bien des 
contradictions, lorsqu'il fut question de son éta- 
blissement en France. Les universités, les ordres 
mendians , les ordres réguliers s’y opposèrent. Vos 
parlemens firent desremontrances, dans lesquelles 
ils insistèrent sur les inconvéniens de la réception de 
cet institut en France. Eustache du Bellay, pour lors 
évêque de Paris, lui fut contraire; le clergé même 
de votre royaume fit assez voir, par le jugement qu’il 
rendit dans l'assemblée de Poissi , en 1561, qu'il 
craignait les entreprises des jésuites, puisqu'il n'y 
consentit (à leur réception) qu’en apposant à son 
consentement plusieurs restrictions et réserves , 
pour maintenir le droit commun de la juridiction 
des évêques. 

En 1574, le clergé de votre royaume, qui con- 
naissait pour lors l'approbation donnée par le concile 
de Trente à cet institut, se conformant à ce que 
le concile en avait jugé, déclara, dans l’article de 
son cahier concernant la profession des novices, 
après une année de noviciat, que, « par la règle 
« qu'il faisait sur ce point, il n'entendait déroger 


136 


« où innover aucunes choses aux bonnes constitu- 
« tions des eleres Ge la religion de la société du 
«nom de Jésus, approuvée du S. Siége aposto- 
« lique. » IT fallait même que les jésuites eussent 
bien fait tomber , par leur conduite, les préventions 
qu’on avait eues d’abord contre leur institut , puis- 
qu'en 1610, où il y avait encore un si grand sou- 
ièvement contre eux, Henri de Gondi, évêque de 
Paris, parlant un langage si différent de celui 
qu'Eustache du Bellay , l’un de ses prédécesseurs , 
avait tenu en 1554 , leur rendait témoignage , « que 
« leur ordre était, tant pour sa doctrine que pour 
« sa bonne vie et mœurs , grandement utile à l’'É- 
« glise et profitable à l’État; » que la chambre 
ecclésiastique et celle de la noblesse des États-gé- 
néraux en 1614 et 1015, demandaient avec tant 
d'instance le rétablissement de la compagnie des 
Pères jésuites, pour l'instruction de la jeunesse , 
dans la ville de Paris, et l’crection d’autres nou- 
veaux colléges dans les différentes villes duroyaume, 
regardant ce point comme un des plus essentiels de 
leurs cahiers, et qui devait être sollicité avec plus 
de vivacité; qu'ils suppliaient les députés envers le 
roi « d’avoir cet article en particulière recomman- 
dation , à ce qu’une réponse favorable à leffet dudit 
article fût au plus tôt accordée et exécutée. » « La 
« compagnie reconnaissant combien l'institut desdits 
« Peres , leur doctrine et industrie à servi et servira 


137 

« encore , avec la grâce de Dieu , pour le maintien 
« de la foi et de la religion catholique, restaura- 
«tion de la piété et bonnes mœurs en icelle, et 
« pour l’extirpation des hérésies ; » et qu’enfin l'as- 
semblée du clergé de 1617 proposait les écoles des 
jésuites comme le moyen le plus propre à remettre 
la religion et la foi dans l’âme des peuples. 

Les lettres patentes qu'il a plu, sire , à vos au- 
gustes prédécesseurs de leur accorder pour léta- 
blissement d’un grand nombre de colléges en 
France, font assez connaître qu’ils étaient persua- 
dés de leur utilité. Louis XIV, votre auguste bi- 
saïeul , l'a reconnu particulièrement , sire , lorsque, 
par les lettres patentes qu’il fit expédier pour leur 
établissement au collége de Clermont, il disait 
« qu'il cherchait à favoriser les soins que les jé- 
« suites prennent si utilement pour élever la jeu- 
« nesse dans la connaissance des bonnes lettres, et 
« lui apprendre ses véritables obligations envers 
« Dieu et envers ceux qui sont préposés pour gou- 
« verner les peuples, » et lorsqu'il voulut que ce 
collége portât son auguste nom. 

Les jésuites sont aussi très-utiles à nos diocèses , 
pour la prédication , pour la conduite des âmes , 
pour établir, conserver et renouveler la foi et la 
piété par les missions, les congrégations , les re- 
traites , qu'ils font avec notre approbation et sous 


notre autorité. 


138 


Par ces raisons, nous pensons, sire, que leur 
interdire l'instruction , ce serait porter un notable 
préjudice à nos diocèses ; et que, pour l'instruction 
de la jeunesse, il serait difficile de les remplacer 
avec la même utilité, surtout dans les villes de pro- 
vince où il n’y a point d'Université. 

Les religieux des autres ordres qui ne sont pas 
dévoués par état et par leurs vœux à cette espèce 
de travail, ne sont accoutumés ni à la méthode ni 
à l’assujettissement de l’instruction. Distraits néces- 
sairement par les observances de leur ordre, ils ne 
peuvent donner à l’éducation de la jeunesse une 
attention aussi suivie. 

Les clercs réguliers , autres que les jésuites et les 
prêtres vivant en communauté , ne sont pas en assez 
grand nombre pour les suppléer. 

Les prêtres séculiers peuvent, à la vérité, avec 
la permission de leur évêque, se consacrer à cette 
instruction ; mais n’ayant point été exercés dans ce 
genre, dès leur jeunesse, ils n’y prennent point de 
goût, et n’ont point la même intelligence pour y 
réussir ; d’ailleurs n’ayant pas, à beaucoup près, 
dans nos diocèses, le nombre de prêtres suflisant 
pour les fonctions du ministère , il nous serait im- 
possible de suffire à cet objet. 

Prendrait-on des laïques? on sait combien il est 
difficile d’en trouver, dans les provinces , qui veuil- 
lent se livrer à un travail aussi pénible et aussi re- 


139 


butant ; qu’il est plus rare encore d’ÿ en trouver 
qui aient les qualités et les talens nécessaires pour 
y être employés. 

Les jésuites, sire, tiennent actuellement en 
France cent colléges. S'ils étaient supprimés, où 
trouverait-on le nombre de sujels ayant les qualités 
nécessaires pour remplir les places de régens dans 
tous les colléges? Les jésuites, faisant un corps de 
communauté, ont encore l'avantage de pouvoir 
choisir, parmi tous les jeunes religieux qu'ils for- 
ment pour cet exercice, ceux qui sont les plus propres 
pour y réussir; et si quelqu'un de leurs régens se 
conduisait ral , ils sonten état d’en mettre un autre 
sur-le-champ; avantage qui ne peut se trouver dans 
les communautés qui ne sont pas spécialement dé- 
vouées à cet objet, dans celles qui, quoique propres 
à l'instruction, ne sont point assez nombreuses , et 
encore moins parmi les laïques libres et sans suite 
par leur état. 

L'enseignement que les jésuites font dans nos 
diocèses, sire, est public. Des personnes de tous 
états et de toutes conditions sont témoins de ce qu’ils 
enseignent. Nous osons assurer Votre Majesté qu'ils 
n'ont jamais été accusés , auprès de nous, de tenir 
la doctrine qu’on leur impute. Qu'on interroge ceux 
qui ont été élevés dans leurs colléges , qui ont fré- 
quenté leurs missions , leurs congrégations, leurs 


retraites : nous somines persuades qu'on n’en trou-+ 


140 


vera pas un seul qui dépose qu'il leur ait entendu 
enseigner quelque doctrine contraire à la sûreté des 
souverains. Nous leur devons même le témoignage 
que, dans leurs colléges, ils consacrent leurs talens 
et ceux de leurs écoliers à célébrer les louanges de 
nos rois, et à inspirer les sentimens de respect et 
de fidélité qui sont dus à l’autorité et à la majesté 
royale. 

Craincrait-on, sire, l’autorité d’un seul homme 
de qui dépendent plusieurs milliers d’antres hom- 
mes qui lui sont assujettis par une obéissance qui , 
quoique restreinte, les tient cependant liés à Jui 
par des motifs de conscience si puissans sur lesprit 
et sur le cœur, surlout des personnes dévouées à la 
piété par état? Cela ne pourrait-il pas devenir dan- 
gereux, dans des temps d’agitation et de trouble ? 

Ilya, sire, dans les autres ordres mendians, 
encore plus de religieux assujeltis à des généraux 
étrangers, par les liens de l’obéissance : pourquoi 
les jésuites seraient-ils seuls à redouter? Il n’est 
point de corps dont l'Etat n’ait quelque chose à 
craindre, s'il sort de son devoir et de la légitime 
subordination : faut-1l, pour cela, supprimer et 
anéantir tous les corps? La crainte des abus doit- 
elle faire détruire ce qui produit actuellement un 
bien réel ? 

D'ailleurs, sire, les jésuites sont toujours sous 


l'autorité des lois : et elles veillent sans cesse pour 


“ 


141 
. les rappeler à leur devoir, s'ils avaient le malheur 
de s’en écarter. 

Les jésuites de France, en 1681 , reçoivent, sire, 
des brefs du pape, à l’occasion de l'affaire de la ré- 
gale, avec ordre de Sa Sainteté et de leur général 
de les distribuer en France. 

M. de Ncvion , pour lors premier président , dit 
aux jésuites qui s'étaient rendus le 20 juinau palais, 
« que c'était un bonheur que le paquet venu de 
« Rome fût tombé en des mains aussi retenues que 
« les leurs ; qu’on ne sur prenait point leur sagesse, 
«et qu'on ne corrompait point leur fidélité. » 
M. l’avocat-général Talon dit qu’on n’avait point à 
se plaindre de la conduite des jésuites, bien justi- 
fiés par les reproches qu'ils avaient reçus, dans le 
billet écrit au nom du pape, et dans la lettre de leur 
général. Ce seul trait prouve mieux, sire , que tous 
les raisonnemens, que tous les jésuites sont persua- 
dés que l’obéissance à leur général , telle qu’elle est 
prescrite par leurs constitutions, ne les oblige point, 
dans tout ce qui pourrait leur être ordonné de con- 
traire à la soumission et à la fidélité qu'ils doivent 


à leur souverain. 


Extrait de la constitution de Pw VIT pour le 


rélabiissement de la socit: de Jesus. 


Les vœux unanimes de presque tout l'univers 
chretien pour le retablisss-aent de la société de 


142 


Jésus, nous attirent tous les jours des demandes 
vives et pressantes de la part de nos vénérables 
frères les archevèques et évêques, et des personnes 
les plus distinguées de tous les ordres; surtout 
depuis que la renommée a publié de tous côtés 
l'abondance des fruits que cette société produisait 
dans les régions qu’elle occupait, et sa fécondité 
dans la production des rejetons qui promettent 
d'étendre et d’orner de toutes parts le champ du 
Seigneur: 

La dispersion même des pierres du sanctuaire, 
causée par des calamités récentes, et des revers 
qu'il faut plutôt pleurer que rappeler à la mé- 
moire, l’anéantissement de la discipline des or- 
dres réguliers (de ces ordres, la gloire et l’orne- 
ment de la religion et de l’Eglise) , dont la réunion 
et le rétablissement sont l’objet de nos pensées et 
de nos soins continuels, exigent que noüs don- 
nions notre assentiment à des vœux si unanimes 
et si justes. Nous nous croirions coupables devant 
Dieu d’une faute très-grave, si, au milieu des 
besoins si pressans qu'éprouve la chose publique, 
nous négligions de lui porter des secours salutai- 
res que Dieu, par une providence singulière, met 
entre nos mains, et si, placés dans la nacelle de 
Pierre, sans cesse agitée par les flots, nous reje- 
tions les rameurs robustes et expérimentés qui 
s'offrent à nous, pour rompre la force des vagues 


143 
qui menacent à tout instant de nous engloutir 
dans un naufrage inévitable. 


Rien ne fait plus d'honneur aux jésuites 
que les motifs exprimés dans ces deux para- 
graphes. En leur donnant une vie nouvelle, 
en les rappelant avec tant de confiance au 
secours de la religion, Pie VIT leur a rendu 
un hommage aussi glorieux que mérité. Il a 
replanté de sa propre main l'arbre que la 
tempête avait déraciné; et la preuve qu'il 
a fait en cela un acte de haute sagesse, 
conforme aux besoins des peuples, c’est 
que cet arbre couvre déjà les deux Mon- 
des de ses rameaux. 


FIN. 


RON RS RS RE RS RES RAR A ET RO ET TE 


TABLE 


DES CHAPITRES. 


CHAPITRE PREMIER. L'existence des jésuites en Frarice 
est-elle contraire aux lois du royaume ? Page 3 
Crar.1l. L'existence des jésuites en France ne serait- 
elle point protégée par nos maximes de droit public 
et par la Charte : 37 
Cap. III. Quels sont les abus signalés dans les petits 
séminaires dirigés par les jésuites ou autres ecclésias- 
tiques, comme contraires aux ordonnances roya- 
les ? 7o 
Cuar.IV. N’existerait il pas quelque moyen de con- 
gédier honnêtement les jésuites, sans violer ni la 
Charte, ni nos libertés, ni nos maximes de droit pu- 
blic ? 88 
Car. V. De la folie de certains royalistes qui font 
cause commune avec les ennemis des jésuites. 109 
Cxar. VI. Ne la bonhomie d’autres royalistes qui opi- 
nent pour la suppression des jésuites, afin de calmer 
les esprits par une concession au parti libéral. 116 
APPENDICE. 123 


FIN DE LA TABLE.